Flore Decoster, fondatrice de Tichoups : comment on gère 3 enfants et une entreprise ?

Maman de 3 enfants et fondatrice de la marque de chaussons et chaussures pour bébés Tichoups, Flore parvient à cumuler les rôles sans se perdre et avec le sourire. Les grossesses rapprochées (Marcel, 4 ans et demi, Louison, 3 ans, Ernest, 7 mois), les congés maternité écourtés, les mercredis, les vacances et le télétravail : on lui a demandé comment elle s’organisait pour être épanouie au bureau comme chez elle. Sa réponse : organisation, temps pour soi et temps de qualité…

Tu as créé Tichoups bien avant de devenir maman, comment est né ce projet ?

Diplômée d’un master en e-commerce et issue d’une famille d’entrepreneurs, il y avait une certaine évidence dans le fait, pour moi, de devenir mon propre patron et de diriger une entreprise. Il me fallait juste l’idée et elle m’est apparue lors d’un séjour à Lyon chez ma sœur où j’ai découvert aux pieds de ses enfants d’adorables petits chaussons souples. C’est en discutant avec ma sœur du prix exorbitant que j’ai eu le déclic : celui de proposer des chaussons de qualité à des prix raisonnables !
Et pour le nom, j’ai organisé un brainstorming familial… Tichoups est ainsi né !

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Est-ce que c’était un atout d’être jeune et sans enfants pour créer ta boîte ?

Pour moi oui c’était un réel atout. Pas de contrainte horaire, pas de responsabilités financières et un grain de folie…
Il y a 11 ans, je ne connaissais pas encore mon mari, j’étais passionnée par mon projet et je travaillais sans compter mes heures. Il m’arrivait de faire des journées de douze heures, je voulais que ça aille vite et il y a tellement de choses à faire quand on crée son entreprise

Sans l’aide de mes parents, je ne pense pas que j’y serais arrivée. Tout d’abord grâce aux conseils précieux de mon père entrepreneur (et il continue de m’en donner régulièrement) et parce qu’ils ont accepté que je retourne vivre chez eux le temps que je lance mon entreprise. J’y ai installé mon bureau et le stock de tous mes chaussons. Ma dernière année en master 2 en alternance m’a permis de toucher l’ACCRE pour créer mon entreprise et pour me verser un « tout » petit revenu par mois, de quoi sortir avec les amis le week-end.

Je n’avais aucune expérience, j’ai donc tout appris sur le tas. Ce qui m’importait et ce qui m’importe toujours est une croissance annuelle à deux chiffres, mais surtout une rentabilité. Forcément, je pense qu’avec de la maturité, de l’expérience et des enfants on est beaucoup plus efficace au bureau. Le développement produit aurait peut-être été plus rapide car aujourd’hui mes enfants sont ma principale source d’inspiration. C’est grâce à Marcel que j’ai créé la gamme de chaussures bébé, et les chaussures de marche répondent à des problématiques que j’ai eues pour chausser mes enfants.

Est-ce que la naissance de Marcel a modifié ta façon de travailler et d’organiser l’entreprise ? Quels compromis a-t-il fallu faire ?

Lorsque nous avons décidé avec mon mari d’avoir notre premier enfant il y a 5 ans, j’étais bien entourée chez Tichoups avec deux salariées.  À ce moment-là, moi qui aime bien tout gérer, j’ai dû accepter de déléguer. Mais cela a été très bénéfique pour la suite.
Le premier hiver de Marcel a été costaud. Il était gardé en crèche et toujours malade. Quand on m’appelait pour me dire qu’il avait 38 de fièvre, je me dépêchais d’aller le chercher. Je pense que je passais au moins une semaine par mois en cumulé à la maison avec Marcel malade.

Est-ce que tu t’es accordé un congé maternité ?

J’ai eu une grossesse très facile qui m’a permis de travailler jusqu’au bout. Marcel est arrivé le 14 juillet, je me vois encore envoyer des emails à l’équipe le 10 juillet en me disant que tout ce qui était fait avant ne serait pas à faire après. Le dernier mois, je m’accordais quelques pauses dans la semaine pour préparer l’arrivée du bébé (cours de préparation à la naissance, préparation de la maison et de la chambre et déjeuners qui s’éternisent avec des copines également en congé maternité).
Nous en avons bien profité tout l’été car mon mari a pu prendre 5 semaines de suite (congé paternité + vacances). Nous sommes partis en Bretagne lorsque Marcel avait deux semaines, je gardais un œil tout de même sur les chiffres et sur les commandes mais le fait de ne pas être à la maison m’a permis une totale déconnexion.
En septembre ça a été un peu plus dur, la rentrée est une grosse période pour Tichoups : je me revois sur mon ordinateur en train de bercer Marcel dans son transat avec mon pied…
Il a fait sa première journée de crèche à 10 semaines. Pour moi, les premières journées au bureau étaient longues, et quelle frustration au début lorsque vous le récupérez le soir à 18H00 et qu’il s’endort à 19H00 au plus tard ! Petit à petit on accepte ce rythme, on préfère la qualité à la quantité et on en profite le week-end.

Un peu plus d’un an après Marcel, Louison est arrivée, tu avais envie d’une fratrie rapprochée ?

Marcel et Louison ont 18 mois d’écart. Je ne sais pas pourquoi à 9 mois je suis toujours un peu nostalgique du nourrisson. Ernest aura bientôt 9 mois et je disais encore ce matin : je ne vais bientôt plus pouvoir l’appeler « mon bébé ». 
Notre entourage nous prenait pour des fous d’avoir des enfants si rapprochés et pourtant pour nous c’était une évidence. J’ai des grossesses très faciles, je pense que ça aide.
Et le fait d’avoir un bébé ne nous arrête pas de vivre. Je me rappelle avoir été à Madère avec Louison qui avait 2 mois et Marcel 20 mois, juste avant que je reprenne le travail, c’était génial. On en garde un super souvenir, on faisait des balades avec chacun un enfant dans le dos.
Et pour le côté pratique : avec si peu d’écart ils sont sur le même rythme. Aujourd’hui ils sont si complices, ils s’entendent à merveille avec leurs caractères diamétralement opposés.

Avec le recul, comment l’as-tu vécu, est-ce que l’arrivée du deuxième a été plus difficile à vivre ?  Est-ce qu’il a fallu se réorganiser et revoir tes priorités professionnelles et personnelles ?

Avec l’arrivée d’un deuxième on se pose beaucoup de questions. Comment va-t-il accepter l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur ? Le bébé va-t-il réveiller notre aîné qui ne dort pas très bien ? Je me rappelle très bien quand nous sommes rentrés de la maternité avec Marcel et Louison. C’était l’heure de la sieste, Marcel a dormi comme d’habitude et à son réveil il cherchait sa petite sœur comme si elle avait toujours été dans cette maison.
Niveau organisation j’ai revu un peu mes priorités, je voulais davantage profiter de mes enfants. À partir de la naissance de Louison je n’ai plus travaillé le mercredi.
Depuis que Marcel va à l’école, nous avons une nounou qui s’occupe des enfants de 16h30 à 18h30 pour toute la partie logistique, et quand nous rentrons nous avons un vrai moment de qualité avec les enfants.
Je me prends également une semaine à chaque vacances scolaires pour déconnecter, me recentrer sur notre famille, les enfants.

Comment vous vous répartissez les rôles avec ton mari ? Est-ce que c’est un sujet récurrent de discussion et d’ajustements ou est-ce que c’est rôdé ?

Notre organisation est rôdée. À chaque grand changement (naissance, changement professionnel), un ajustement est indispensable pour notre équilibre familial. Par exemple avant que Marcel aille à l’école, mon mari partait tôt au bureau pour ne pas rentrer trop tard, je m’occupais toujours des enfants le matin. Depuis que le matin est chronométré avec l’école, je suis très contente qu’on soit deux tous les matins pour s’occuper des trois. C’est un luxe !

Avec 3 enfants aujourd’hui, comment gères-tu ton emploi du temps ? À quoi ressemblent tes semaines ? Qu’est-ce que tu as délégué ?

Les semaines sont intenses mais je me lève tous les matins avec de nouveaux projets, de nouvelles idées et surtout, je suis ravie d’aller au bureau. J’ai la chance de prendre mon mercredi pour m’occuper des enfants. J’essaie de ne pas trop m’occuper de la logistique de la maison car les enfants sont petits et ils ont besoin d’attention.
Nous sommes actuellement quatre dans l’équipe Tichoups avec des rôles bien définis. J’ai une assistante achat/chef de produit qui m’aide beaucoup car depuis 2016 nous avons élargi notre gamme de produits (chaussures bébé et chaussures de marche) et nous avons donc de plus en plus de fournisseurs.

Comment as-tu vécu le confinement entre ton entreprise à gérer et les enfants à la maison ?

Au début, lors du premier confinement, c’était particulier de se retrouver tous les quatre à la maison 24H/24. C’était une situation exceptionnelle et nous en avons profité pour faire des activités avec les enfants, inventer de nouveaux jeux, des goûters surprises, des spectacles en Visio pour les cousins… Nous avions plein d’imagination et je garderai un bon souvenir de ces moments passés avec les enfants.
Mais j’étais enceinte de 6 mois avec deux enfants de moins de 4 ans à occuper toute la journée, un mari en télétravail dans le salon et une entreprise à faire tourner avec toutes les interrogations qu’on avait à ce moment-là : faut-il continuer à expédier ? Chômage partiel ou télétravail pour mes salariés ?  Vais-je continuer d’être approvisionnée par mon fournisseur ? Heureusement je n’étais pas trop stressée par la viabilité de ma boîte car nous avons fait des mois records. Les chaussons, un indispensable pour le confinement.

Avec mon mari, on ne s’est jamais autant vus et aussi peu vus car on se relayait pour s’occuper des enfants, on travaillait pendant la sieste et le soir quand les enfants étaient couchés. Il était donc difficile pour moi de communiquer avec mes salariés car nous avions des horaires décalés.
Le week-end au début on s’interdisait de travailler et ensuite nous avions pris tellement de retard dans nos missions respectives que nous n’avons pas eu le choix, pour que tout soit fait avant la naissance d’Ernest.

Tu m’as confié ne pas être adepte du télétravail, tu préfères cloisonner plutôt que de tout mélanger ?

Avec du recul je ne suis pas une adepte du télétravail car je trouve que l’information circule moins bien. Je n’ai aucun doute sur l’efficacité des salariés en télétravail mais il n’y a plus les « pauses café » où l’on se dit ce qu’on a vu sur les réseaux sociaux, sur ce qu’on a vu aux pieds d’un enfant dans la rue… On se dit qu’on le dira à la prochaine réunion et en fait on oublie, car on ne trouve pas l’information importante et les réunions sont déjà tellement intenses. Je pense que le télétravail est néfaste pour l’avenir de l’entreprise car il nous place dans le présent mais pas dans le futur, ce qui est indispensable pour le développement.

Quels sont les 3 piliers de ton équilibre aujourd’hui ?

1/ L’organisation :  Je crois qu’il faut pouvoir accepter de ne pas pouvoir tout gérer et de ne pas tout faire à la perfection ! Mon mari participebeaucoup, nous faisons appel à des aides extérieures, et je ne suis pas complexée si un soir mes enfants mangent des coquillettes et du jambon ou si mon panier de linge sale déborde.

2/ Du temps de qualité avec mes enfants : la semaine je ne les vois pas beaucoup, mais quand je rentre je suis entièrement disponible pour eux. Le must c’est quand à 18h30 on est tous les cinq à la maison et qu’on se fait un jeu de société avec les plus grands et Ernest sur nos genoux.

3/ Le temps pour soi et à deux : Nous n’en avons pas beaucoup avec trois enfants en bas-âge et surtout dans ce contexte particulier où les restos, les sorties, les salles de sport ne font plus partie de notre quotidien. Nous nous obligeons tout de même à prendre chacun un peu de temps pour nous : footing pour moi le midi ou le week-end, musique et sport pour mon mari. Nos enfants se couchent à 19h30 donc nous avons toutes nos soirées avec mon mari.

Un conseil d’entrepreneure aux futures entrepreneures mamans ?

La maternité remet en question beaucoup de mamans sur le plan professionnel. Avant de vous lancer, posez-vous les bonnes questions. La création d’entreprise prend du temps, il ne faut pas penser que vous serez disponible à 100% pour vos enfants.
Pesez les pour et les contre, et si la plupart des indicateurs sont au vert, entourez-vous des bonnes personnes et osez ! Il vaut mieux avoir des remords que des regrets.