Période de transition profonde, nouveaux enjeux qui bousculent l’équilibre familial et professionnel, bouleversements émotionnels et logistiques, arbitrages pour la vie de couple, de famille, pro… Le 5ème trimestre est certainement l’une des phases les plus éprouvantes de la maternité. Les jeunes mères apprennent sur cette courte période à naviguer entre injonctions sociales, charge mentale qui explose et reprise d’une activité pro. Un parcours long qui ne s’improvise pas. Échange avec Isma Lassouani, co-fondatrice d’Issence, agence dédiée aux enjeux de la parentalité au travail et co-autrice de Le 5e trimestre, Bien vivre son retour de congé maternité (éd. Solar), un manuel précieux et intelligent qui permet à chacune de faire des choix éclairés.
C’est quoi le 5ᵉ trimestre ? En quoi le quotidien d’une jeune maman bascule au moment de la reprise ?
Le 5ᵉ trimestre, c’est ce moment où la jeune mère reprend le travail après un congé maternité, et tout le monde le voit comme un retour à la normale, une parenthèse qui se ferme – « c’est bon, elle est revenue » – alors qu’en réalité, il s’agit d’une période bouleversante, une étape de plus dans sa maternité, et il lui faudra du temps et du soutien afin de retrouver son équilibre.
C’est pour cette raison que nous l’appelons cinquième trimestre. Car il est primordial de bien le connecter aux trimestres précédents de grossesse et de post-partum, qui ne s’arrêtent évidemment pas aux portes du bureau. Ce n’est pas juste un retour au travail mais une période de transition profonde – physique, logistique, émotionnelle, identitaire. On parle souvent de « reprise », mais c’est un mot trompeur. On ne reprend pas « comme avant » : on invente autre chose, et hélas, encore trop souvent sans aide, sans cadre, sans repères.
En quoi c’est une période clef ?
C’est une période clef parce qu’elle laisse une trace, elle a un impact réel et durable sur la vie familiale, professionnelle et parfois même sur la santé des femmes.
C’est une période intense, rapide, souvent improvisée et solitaire… Et ce qui s’y joue peut influencer toute la suite. Les femmes sont amenées à faire des arbitrages importants sur leur vie de famille, leur couple, leur carrière. Et il nous semble juste qu’on leur redonne la possibilité de choisir au mieux, sans s’oublier au passage.
On sait désormais, par exemple, que l’arrivée d’un enfant marque une accélération des inégalités au travail, et donne naissance à ce qu’on appelle la pénalité maternelle : préjugés sur les mères au travail et discriminations, ralentissement de carrière, perte durable de revenus, révision des ambitions… Cinq ans après la naissance de leur premier enfant, les mères en France gagnent environ 20 % de moins que ce qu’elles auraient gagné si elles n’avaient pas eu d’enfant. C’est un problème systémique qui est injuste tant pour les mères que pour les pères, qui se voient tous deux confisquer le droit à vivre pleinement leur parentalité et leur vie professionnelle.
À la maison aussi, on observe une charge mentale qui explose, une fixation des rôles dans le couple (« elle gère mieux », « il a plus d’obligations pro »), avec des injonctions sociales qui pèsent également sur les pères. Le système, construit dans des moments charnières comme la naissance ou les premiers mois durant le congé maternité, tend à se figer pour la suite, alors même que tout change lorsque la mère reprend le travail. Le 5ᵉ trimestre est justement un moment où l’on peut rebattre les cartes de l’organisation familiale et de l’équilibre dans le couple parental, si l’on est préparée et qu’on a les bons outils pour l’organiser à deux.
On parle bien d’une période qui nous challenge toutes et des solutions existent afin de poser les bases pour la suite.
Comment abordez-vous cette période complexe dans vos accompagnements ?
La reprise, ce n’est pas une date dans un agenda. C’est une transition avec plusieurs étapes intermédiaires, une reconstruction qui prend du temps avant de retrouver un équilibre. Lors de nos ateliers, les femmes nous disent souvent qu’intégrer ces repères chronologiques les aide à prendre du recul, et à se libérer de certaines attentes irréalistes vis-à-vis d’elles-mêmes.
C’est là le premier enjeu : accepter cette transition et choisir ses priorités à chaque étape. Ensuite, nous avons identifié 4 grandes dimensions dans le 5ᵉ trimestre, dont on détaille les enjeux dans le livre :
- Professionnelle : retrouver son poste, s’ajuster à un nouveau rythme, retrouver sa place dans l’équipe, organiser sa charge de travail…
- Physique & émotionnelle : gérer la fatigue, traverser sa matrescence, reprendre confiance en soi, prendre soin de sa santé encore en post-partum, gérer l’allaitement pour celles concernées, ne pas s’oublier…
- Relationnelle : gérer la garde de son bébé et le lien à son enfant, s’organiser et communiquer en tant que couple, bien s’entourer…
- Logistique : trouver sa nouvelle organisation personnelle et familiale, gérer son temps, la charge mentale et la répartition des tâches domestiques et parentales.
Pour chacun, on propose des repères, des solutions concrètes, des exemples vécus. Ce n’est pas un mode d’emploi miraculeux, mais une boîte à outils pour faire des choix éclairés et s’approprier les bonnes idées.
Quelles questions se poser avant la reprise ? Quand se les poser ?
L’idéal, c’est de commencer à y réfléchir 4 à 6 semaines avant la date officielle de reprise. Pas pour tout anticiper, mais pour faire un premier check-up : comment je me sens physiquement ? Quels sont les besoins de mon bébé ? Où j’en suis avec l’allaitement ? Comment fonctionne l’organisation à deux ? etc. Cela laisse le temps de mûrir certaines décisions importantes, comme le prolongement du congé maternité, la prise d’un congé parental, ou une éventuelle adaptation du mode de garde. Au fil des jours, on peut ensuite affiner : comment reprendre contact avec son entreprise ? Est-ce que mes envies ou priorités ont changé ? Ai-je besoin d’ajustements professionnels ou de rythme ? Quelles sont les sources de stress que je peux identifier pour les anticiper à la maison comme au bureau ?
Plus on anticipe, plus on gagne en sérénité et en pouvoir d’agir. Cela permet d’arriver à l’entretien de retour préparée, et d’exprimer ses besoins auprès de son manager, de son entourage, ou des personnes qui s’occupent de notre bébé.
Vous accompagnez les jeunes mères, notamment en les aidant à anticiper et préparer leur reprise. Quand et comment proposez-vous de les aider ?
Oui, nous intervenons à deux niveaux :
- En entreprise, avec une ambition simple : que cette période ne soit plus un angle mort. On organise des conférences, des ateliers, des formations pour les RH et les managers, on accompagne la création de nouveaux process RH d’accompagnement des congés jusqu’au reonboading, et ce au bénéfice de tou.te.s.
- Avec les femmes directement, à travers des ateliers en petits groupes et des accompagnements individuels. C’est un temps pour elles, pour faire le point, poser leurs priorités, retrouver leur boussole. Elles repartent en se sentant moins seules et avec des actions concrètes qu’elles peuvent activer immédiatement, au travail comme à la maison.
Le livre en est l’extension naturelle. On a pris le temps de faire un tour d’horizon complet de cette période charnière et de partager toutes nos ressources au plus grand nombre.
Isma Lassouani et Clémence Pagnon ont fondé l’agence Issence en 2019 : elles accompagnent les entreprises et les femmes face aux enjeux de la parentalité au travail.
Elles publient en 2025 Le 5e trimestre, Bien vivre son retour de congé maternité (éd. Solar).