Abus sexuels, inceste : comment en parler à nos enfants pour les protéger ?

Pour protéger nos enfants de l’inceste et des abus sexuels il faut commencer par oser leur en parler. Parce que ce sont nos mots qui les aideront à détecter les comportements inappropriés et les encourageront à se confier s’ils sont un jour confrontés à une situation anormale, nous avons demandé à Martine Spiesser, psychanalyste et psychothérapeute, de nous aider à trouver les mots.

De quelle manière et à quelle occasion faut-il mettre en garde nos enfants face aux risques d’abus sexuels ?

Il faut en parler aux enfants le plus tôt possible : je préconise de le faire dès la maternelle. C’est un sujet que l’on peut par exemple aborder à l’heure du bain, de l’habillage ou du déshabillage. C’est l’occasion de nommer les parties du corps, et donc notamment le sexe et les fesses. Idéalement il faut choisir les mots auxquels l’enfant est habitué. On peut commencer par leur dire à quel point le corps est précieux, qu’il faut y faire très attention. Et que tout le monde n’a pas le droit d’y toucher, notamment ces parties intimes généralement recouvertes par une culotte. On peut aussi utiliser le jeu et nommer les parties du corps sur une poupée ou un nounours. Il faut dire aux enfants que seule leur main ou celle de leur maman dans certaines conditions peut toucher ces parties intimes. Cette conversation doit aussi être l’occasion de dire aux enfants qu’eux non plus n’ont pas le droit de toucher le sexe et les fesses des autres enfants, ou des adultes d’ailleurs.

Même si le sujet est particulièrement angoissant et dérangeant pour nous parents, il ne faut pas l’éluder.

Faut-il éviter de trop en parler ou au contraire répéter régulièrement des messages de « prévention » ?

Sans en parler tous les jours bien sûr, il est fondamental d’en parler régulièrement, de revenir à la charge avec ce message et d’interroger régulièrement notre enfant pour savoir s’il a vécu des choses qui le dérangent. Il peut s’agir de violence sexuelle, ou de toute autre forme de violence. Elle peut venir d’adultes, mais aussi d’enfants, y compris plus jeunes, et de l’intérieur de la famille.

Et ne pas oublier qu’abuser sexuellement d’un enfant, c’est aussi lui montrer des photos ou des vidéos inappropriées. Il ne faut pas hésiter à lui demander si cela lui est déjà arrivé.

Ce qui rend les choses particulièrement compliquées, c’est que près de 95% des violences sexuelles sont commises par des proches ou des personnes connues de l’enfant. Il est donc très important de dire à notre enfant que même les gens qu’il connaît (un parent, un ami de la famille, un entraîneur sportif) n’ont pas le droit de toucher ses parties intimes. Et que s’il n’a pas envie qu’on lui fasse des bisous ou de s’asseoir sur les genoux, il a le droit de dire non.

N’y a-t-il pas le risque de créer des peurs, de la méfiance ou de l’anxiété chez nos enfants si l’on aborde trop souvent le sujet ?

Il faut bien sûr trouver les mots pour ne pas faire peur à l’enfant mais il est essentiel d’insister car les abus sexuels détruisent beaucoup de vies. L’idée est vraiment d’inscrire ces mises en garde dans un contexte éducatif plus large d’éducation au refus de la violence, à toute forme de violence. Il ne s’agit pas d’aborder la question des abus sexuels de but en blanc mais de leur expliquer leurs droits fondamentaux : les enfants doivent savoir qu’ils ne doivent subir aucune violence, qu’elle soit physique, psychologique ou sexuelle. Les enfants savent très tôt que la violence existe, que les méchants, qu’ils voient peut-être dans les livres, peuvent faire mal. Les prévenir, c’est les protéger.

J’insiste donc sur le fait qu’il faut mettre en garde régulièrement nos enfants : cela peut être avant un séjour dans un centre de loisirs ou lorsqu’un enfant commence une nouvelle activité extrascolaire par exemple. Et qu’il est important de leur rappeler régulièrement qu’ils peuvent nous parler de tout.

Quels sont les comportements de notre enfant qui doivent nous alerter ?

Tous les comportements qui sont en décalage avec l’âge de l’enfant doivent nous alerter. Un enfant qui se frotte compulsivement, qui a des jeux sexualisés, qui joue au docteur avec des mises en scène qui vont trop loin…

Il faut également s’interroger si un enfant change brutalement de comportement ou de personnalité : s’il développe des troubles de la concentration, s’il a des absences bizarres, une grande agitation ou s’il est au contraire apathique, s’il manifeste un dégoût du corps… Il faut également être vigilant en cas d’apparition de troubles alimentaires : on sait aujourd’hui que 85% des personnes qui ont des troubles du comportement alimentaire à l’adolescence ont été victimes d’abus sexuels.

Tous ces signes doivent nous pousser à nous interroger et à interroger nos enfants. On peut lui demander si quelqu’un l’a embrassé, lui a montré des vidéos ou des photos dérangeantes sur Internet. On peut aussi, encore une fois, utiliser une poupée ou un ours en peluche et lui demander si quelqu’un a touché telle ou telle partie de son corps, s’est frotté à lui…

Comment inciter nos enfants à se confier à nous s’ils sont victimes d’abus ou de tentatives d’abus sexuels ?

Il faut d’abord employer les termes appropriés. Aux petits, on peut expliquer tout simplement que certains messieurs ou certaines dames font des choses interdites par la loi. Qu’ils ont des envies bizarres, comme toucher le corps d’un enfant, et qu’ils ne savent pas s’arrêter, qu’il n’y a pas de médicaments pour les soigner. Mais que c’est absolument interdit et que si cela leur arrive, ce n’est en aucun cas de leur faute et qu’il faut nous en parler.

Pour les plus grands, on adapte aussi le vocabulaire : par exemple, on ne parle pas de caresses mais d’agression. Personnellement, je ne parle pas de pédophiles, qui signifie littéralement « personne qui aime les enfants », mais de pédocriminels. Les enfants peuvent entendre parler de viol par des copains ou une émission de télévision. Ces mots sont naturels pour eux, il est inutile d’en employer d’autres pour adoucir la réalité. Pour les inciter à se confier, il faut, encore une fois, expliquer que les agresseurs sont des personnes malades, que ces gestes sont de véritables formes de violence et que toute forme de violence contre les enfants est interdite par la loi. Cette notion d’interdit est très importante pour eux.

Les agresseurs ont malheureusement souvent une longueur d’avance et connaissent le contexte familial : ils savent si un enfant a besoin de tendresse, ils sauront l’effrayer pour qu’il se taise ou au contraire l’amadouer avec des cadeaux…. C’est pour cela qu’il faut dire et répéter à nos enfants qu’on ne veut pas leur faire peur mais que s’ils ont vécu ou vu des choses qui les perturbent, ils doivent nous en parler, ou en parler à une personne de confiance, référente. Si on a des doutes, on peut aussi proposer à un enfant de rencontrer un professionnel à qui il pourra peut-être plus facilement parler. Je dis souvent à mes jeunes patients que je suis la gardienne des secrets des enfants. Cela les met en confiance.

Et puis lorsque les enfants grandissent, on peut aussi leur dire qu’il existe une bonne et une mauvaise sexualité. Et leur rappeler que s’ils se sentent en danger ou ont vécu des choses perturbantes, ils peuvent contacter le 119 (le service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger), ou, pour les adolescentes, le service Viols femmes informations (0800 05 95 95) ou encore la police.

Merci à Martine Spiesser pour ses précieux conseils. Psychothérapeute, elle anime des groupes et des ateliers autour du deuil et de l’addiction et est notamment l’auteure, aux éditions Leduc, des Traversées du deuil.

Pour échanger avec nos enfants sur le sujet, on peut mettre entre leurs mains (ou leur lire) Le petit livre pour apprendre à dire NON !, de Dominique de Saint Mars, aux éditions Bayard. Parmi les autres références intéressantes en littérature jeunesse :
Petit doux n’a pas peur, de Marie Wabbes, aux éditions La Martinière jeunesse.
Touche pas à mon corps Tatie Jacotte, de Thierry Lenain, aux éditions Les 400 coups.
Qui s’y frotte s’y pique ou Comment Mimi a appris à dire non, de Marie-France Botte, aux éditions L’Archipel.

Crédit photo : Annie Sprat