Congé paternité allongé : mode d’emploi pour les papas

À partir du 1er juillet 2021, le congé paternité s’allonge pour permettre aux jeunes pères (ou au deuxième parent) de bénéficier d’un congé de 25 jours (au lieu de 11 jours) à la naissance de leur enfant. Cette mesure tant attendue pour soulager les femmes et créer les conditions d’une véritable égalité professionnelle est-elle suffisante ? Comment les couples vont-ils s’en emparer ? Les entreprises sont-elles prêtes ? Entretien avec Patrice Bonfy, fondateur du site Le Paternel et de Remixt, plateforme digitale de sensibilisation et de dialogue sur les enjeux de Diversité & Inclusion (dont la parentalité) dans les organisations.

Tu as découvert les joies du congé paternité prolongé en 2017, et depuis tu es devenu le porte-voix d’une génération de pères volontaires et, disons-le, féministes ! Comment as-tu accueilli cette mesure qui rallonge le congé paternité ?

Évidemment c’est une bonne nouvelle, même si on peut regretter que le congé ne soit pas plus long et qu’il n’y ait toujours pas une vraie égalité entre femmes et hommes. Un mois, c’est la durée demandée en 2017 par la première pétition en France sur le sujet, qui avait récolté des dizaines de milliers de signatures. L’idée a fait son chemin dans l’opinion jusqu’à devenir une loi. Mais les attentes et la compréhension du sujet ont aussi évolué entre-temps…

Patrice a raconté à notre micro son vécu du congé paternité ;pour l’écouter, c’est ici

Qu’est-ce qui change avec cette nouvelle législation ?

Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant était de 11 jours, qui s’ajoutaient aux 3 jours de « congé de naissance » à
prendre obligatoirement juste après la naissance. À partir du 1er juillet 2021 : le congé de naissance reste de 3 jours, auxquels s’ajoutent 4 jours obligatoires à prendre dans la foulée, ce qui signifie que le père (ou deuxième parent) sera forcément présent auprès de sa famille durant 7 jours après la naissance. Il reste 21 jours de congé proposés aux jeunes pères, à prendre d’un seul bloc ou à répartir en deux périodes de 5 jours minimum, dans les 6 mois qui suivent la naissance.

Concrètement, comment est-ce que cela peut s’organiser ?

À chaque famille de déterminer la manière d’utiliser ce congé qui correspond le mieux à ses attentes et à ses besoins. Je recommanderais tout de même de choisir entre deux scénarios qui me paraissent particulièrement bénéfiques :

1/ Enchaîner après le congé de naissance pour être présent pendant 4 semaines auprès de sa compagne et du bébé dans le mois qui suit la naissance, parce que c’est une phase clef pour tisser du lien avec son enfant et soutenir la mère qui a accouché.

2/ Prendre les 21 jours de congé non obligatoire au moment du retour au travail de la maman, pour faciliter sa reprise professionnelle en n’ajoutant pas, en plus, le stress de la transition vers un mode de garde en crèche ou par une nounou. Et aussi parce que c’est en se retrouvant un peu seul avec son enfant, aux responsabilités, que l’on apprend le mieux.

Pourquoi selon toi est-ce que ce congé n’est pas entièrement obligatoire ?

Les organisations patronales s’y sont logiquement opposé, en invoquant les problèmes d’organisation que subiraient en particulier les TPE-PME si tous les pères se mettaient à partir un mois en congé paternité. Cet argument est quand même étrange, puisque le congé maternité lui est obligatoire. Avec un tel raisonnement, on entretient le réflexe d’embaucher et de promouvoir plutôt des hommes que des femmes pour éviter ces questions d’organisation liées au congé maternité ! D’autres voix ont plaidé pour la liberté : tous les hommes ne sont pas candidats à ce congé, et on n’aurait pas à leur imposer un changement de société… Il y a au fond un problème d’acceptabilité sociale : on considère actuellement que ce congé peut être un “droit”, mais pas encore un “devoir”. Cette idée d’en faire un “devoir” est l’une des revendications clés de l’association Parents & Féministes.

Un congé non obligatoire, cela implique des pères volontaires et des entreprises sensibles et ouvertes sur le sujet de la parentalité pour qu’il soit utilisé…

C’est tout le problème. On sait que le congé paternité “classique” était utilisé par environ 70% des pères*, alors que 11 jours ne constituaient pas une absence prolongée. C’était comparable à poser des vacances. Est-ce qu’autant de pères vont oser prendre les 25 jours de congé de paternité auxquels ils ont désormais droit ?

Il y a la pression, plus ou moins directe, de la part de l’employeur qui fait qu’ils peuvent avoir peur d’être mal vus s’ils prennent la totalité de leur congé paternité. Et sans cela, il y a aussi beaucoup d’auto-censure de la part des hommes qui souhaiteraient prendre ce congé mais n’osent pas passer le pas, pensant qu’ils ne peuvent pas se le permettre, que ce serait manquer de conscience professionnelle. Dans ce contexte, si l’entreprise reste silencieuse sur le sujet, les freins demeureront. Il est clair que l’entreprise doit être un moteur pour résoudre les éventuels problèmes organisationnels, et encourager les pères à s’emparer de ce droit ! Avec Remixt, on a déjà accompagné quelques entreprises sur le sujet, en diffusant largement des messages de sensibilisation aux salariés, parce que parler seulement aux futurs parents ne suffit pas, il faut aligner toute la culture d’entreprise. Et en libérant la parole des salariés, pour comprendre les réticences éventuelles, et pouvoir travailler dessus.
(*Source : IGAS )

À l’occasion de la tribune de « papas engagés pour l’allongement du congé paternité » que tu as cosignée en 2020, vous avez demandé aux pères de venir témoigner sur leur expérience de congé paternité. Qu’est-ce qui en est ressorti ?

Nous avons collecté 411 témoignages de pères, qui avaient pu, ou pas, prendre un congé paternité prolongé. Ce qui m’a marqué le plus, ce sont les regrets exprimés par ceux qui réalisaient, mais trop tard, qu’ils auraient dû décrocher du boulot, être plus présents pour leur femme, pour leur famille. Certains traumatismes liés à cette période peuvent laisser des traces sur le long terme, difficiles à rattraper. Ceux qui s’étaient déjà débrouillé pour allonger leur congé, avec des congés payés économisés, ou en réduisant leur activité, sont en revanche unanimes sur les bénéfices de leur choix. (pour lire la synthèse des témoignages c’est ici ) 

Quels sont les bénéfices les plus précieux selon toi d’un véritable congé paternité ?

Le congé paternité prolongé est bénéfique pour la mère, pour le bébé, et pour le père. Et tout est lié : on ne peut être empathique et soulager vraiment la maman que si l’on partage la même expérience, les mêmes apprentissages. Et cela a des répercussions à long terme, sur le couple, la famille, mais aussi les carrières de l’un et de l’autre : des études menées dans les pays nordiques ont montré que plus le congé du père était long, plus la probabilité d’activité et le niveau de salaire à long terme de la mère était élevé. Tout aussi précieux, la connexion qu’on crée avec son enfant lors de cette période : 11 jours, c’est trop court pour rentrer dans le rythme très particulier de l’éveil d’un nouveau-né

Le cœur de cette nouvelle mesure c’est donc autant le bien-être des pères que celui des jeunes mères ?

L’enjeu principal est clairement l’égalité femme-homme, à la maison et dans l’entreprise. C’est une réforme féministe, même si elle ne va pas aussi loin qu’on pourrait le souhaiter. Elle incite au moins symboliquement les hommes à prendre leurs responsabilités à la naissance de leur enfant. Et ce n’est pas forcément une partie de plaisir à très court terme ! Il serait plus confortable d’aller « tranquillement » au travail. Mais, d’une part, cela peut leur apporter beaucoup, et, surtout, il n’y a plus vraiment de raison convaincante de laisser les femmes porter seules toutes les difficultés de la parentalité. Comme je le disais dans une tribune sur le sujet : le congé paternité prolongé c’est comme un vaccin, on le fait pour soi ET pour le collectif. Plus les hommes le prendront, mieux les contraintes parentales seront acceptées dans l’entreprise et moins les femmes risqueront d’être discriminées.

Crédit photo : Belly Balloon Photography-Les Louves