« Je me suis demandé si on pouvait redevenir heureux après avoir enterré son enfant »

C’est une expérience profondément douloureuse, un deuil impossible à faire : Emmanuelle a perdu son bébé, une petite fille « née sans bruit » à deux semaines de sa date de terme. Comment se reconstruire dans la souffrance ? Comment continuer à avancer malgré le chagrin et la colère ? Voici son témoignage, délicat et sincère sur cette expérience du deuil périnatal qui a bouleversé sa vie de maman.

J’ai eu trois enfants dont deux sont vivants aujourd’hui. Ils ont douze et trois ans.
Je suis tombée enceinte la première fois à 28 ans après un mois d’essai. J’étais très angoissée par la grossesse, les changements de mon corps et le fait de devenir responsable d’un enfant. Mais physiologiquement, tout se passait bien. L’accouchement a été un peu compliqué : trop de péridurale car j’avais peur d’avoir mal, trop de médicalisation car le bébé ne descendait pas assez vite. Au final, 14 heures de travail, une déchirure mal recousue et un petit Aurèle dans les bras. Un très beau bébé mais beaucoup de questions et de panique. Je crois qu’il m’a fallu un an pour me sentir vraiment Maman. Heureusement que son Papa était très présent auprès de lui.

Gérer la douleur, le chagrin et la sidération

Quand nous avons voulu un second enfant quelques années plus tard et après plus d’un an d’essais, j’ai découvert que j’étais atteinte d’endométriose. Il n’a donc plus été question d’autre chose que de faire diminuer les kystes présents sur mes ovaires et j’ai été mise en ménopause artificielle pendant un an. Je savais désormais qu’il serait difficile de tomber enceinte.

Pourtant, je suis retombée enceinte 6 mois plus tard. Ce fut vraiment une très grande joie. Nous attendions une petite fille. Son frère qui avait six ans alors était très impatient. Ma grossesse était très sereine, je m’émerveillais de tout, rien ne me semblait trop pénible et j’étais très fière de porter un bébé. J’étais suivie aux Diaconesses à Paris comme pour Aurèle et tout était parfait. Deux semaines avant la date prévue d’accouchement, j’ai commencé à ressentir des contractions avec de fortes douleurs dans les lombaires comme pour Aurèle. Nous sommes allés en urgence à la maternité car nous savions que c’était imminent. Malheureusement nous avons appris une fois sur place que notre bébé était décédée in utero. Un 15 tonnes nous était tombé sur la tête. C’est à ce moment-là très compliqué car il faut accoucher par voie basse, gérer la douleur, le chagrin et la sidération.
Il y a toute une dimension logistique à laquelle on n’avait jamais pensé : funérailles, inscription du bébé sur le livret de famille… Olympe est née sans bruitet je crois que ce qui m’a le plus marqué c’est ce silence et le fait qu’elle ne m’ait pas regardée. J’étais très partagée entre une très grande tristesse et un orgueil vraiment blessé. Ressortir de la maternité sans couffin a été vraiment très humiliant.

S’en est suivie une année très difficile de suivis, de colères, de larmes, de sentiment d’humiliation et de fuite en avant. Expliquer à la sécu que l’on n’est pas enceinte, se balader avec un ventre de jeune accouchée mais sans bébé, entendre des remarques sur les bébés malformés, sur les fausses-couches des unes et des autres, « mais ne t’inquiète pas t’en auras un autre » et surtout être fuis comme si nous portions malheur. C’est notre fils qui nous a le plus aidés et nous a sorti la tête de l’eau à plusieurs reprises avec ses réflexions d’enfant.

Nous avons traversé le deuil ensemble

Très vite, j’ai voulu retomber enceinte. À tout prix, je ne pensais qu’à cela. Cinq mois plus tard, j’étais de nouveau enceinte mais très vite on a réalisé que c’était une grossesse extra-utérine. J’ai été soignée par méthotrexate et j’ai développé en même temps des rages de dents qu’il a fallu arracher. Nous avons fini l’année 2013 soulagés d’avoir survécu à tout ça.
Cette épreuve, que je ne souhaite à personne, nous a transformés positivement je pense : nous en sommes ressortis très soudés avec mon mari, nous avons traversé le deuil ensemble, il me relevait quand je m’effondrais et vice et versa.
L’année suivante, à la faveur d’un changement de gynécologue, nous avons commencé des examens de fertilité, j’avais 37 ans passés et l’endométriose se manifestait de nouveau. J’ai fini par accepter de ma faire opérer pour “nettoyer” mes trompes et mes ovaires par coelioscopie.
J’espérais toujours tomber enceinte et je m’étais armée de nombreux tests d’ovulation, de poudres magiques, etc. ! Je serrais les dents et j’étais vraiment triste dès que je voyais une femme enceinte d’une part car je ne parvenais pas à avoir ce bébé tant désiré et aussi parce que je savais que je ne vivrais plus jamais de grossesse sereine.

16 échographies en l’espace de 8 mois

Je suis tombée enceinte un peu par hasard cinq mois plus tard (quelques semaines avant de lancer des procédures de FIV), à la faveur d’une ovulation un peu déréglée. La grossesse était très angoissante : il a d’abord fallu vérifier que ce n’était pas une nouvelle grossesse extra-utérine, puis que le bébé s’accrochait bien, puis qu’il n’avait pas de trisomie, puis qu’il grossissait bien… C’était au moment des attentats et je travaillais à l’époque sur les sujets de sécurité et de prévention à Paris, c’était très angoissant. J’ai été arrêtée très vite car le bébé ne grossissait pas beaucoup. C’était un véritable combat, j’ai fait 16 échographies en l’espace de 8 mois et j’ai eu jusqu’à la dernière minute la peur qu’elle ne vive pas. À un mois du terme, les médecins ont découvert que je développais une cholestase gravidique. J’ai été déclenchée immédiatement car ils ne voulaient prendre aucun risque. J’étais très paniquée car on me promettait une césarienne s’il ne se passait rien au bout de 4 heures de déclenchement. Pourtant les sages-femmes m’ont aidée, vraiment. Céleste est née quelques heures plus tard, en pleine forme malgré ses 37 semaines. Elle était super tonique ! Ça a vraiment été un moment de douceur et de joie absolue. J’ai lévité pendant les six mois qui ont suivi.

De belles choses peuvent arriver malgré tout

Il a donc fallu attendre 6 ans pour tenir de nouveau un bébé dans les bras et j’ai eu l’impression de ne vivre que pour cela pendant tout ce temps. Ce n’est pas simple de revenir “à la normale” après.
La maternité est parfois une aventure mouvementée. Quand Olympe est morte, je me suis demandé si on pouvait revivre après, si un jour on pouvait redevenir heureux après avoir enterré son enfant. J’essaie souvent de témoigner auprès de mamans confrontées au deuil périnatal pour leur dire que ce sera dur mais que de belles choses peuvent arriver malgré tout.

Crédit photo : Gbarkz pour Unsplash