Face au silence de nos ados : comment maintenir le dialogue ?

Ils répondent par des monosyllabes, s’enferment dans leur chambre, et laissent flotter un silence déroutant. Que se passe-t-il dans la tête de nos ados quand la parole disparaît ? Pour comprendre ce repli fréquent à l’adolescence – et éviter les erreurs qui le creusent davantage – nous avons interrogé Pascaline Thilloy, psychopraticienne spécialisée dans les relations parents-enfants. Besoin d’indépendance, peur du jugement, difficulté à nommer ce qu’ils ressentent : leurs silences sont rarement vides de sens. Encore faut-il adopter la bonne posture pour rouvrir le dialogue.

Pourquoi nos ados se referment-ils ? Les raisons sont multiples, et se souvenir de notre propre adolescence peut nous éclairer. Qui n’a jamais, à cet âge, ressenti un besoin de se retirer, un mal-être indicible, ou cette difficulté à mettre des mots sur des émotions bouillonnantes ? Nos ados traversent un tumulte identitaire, émotionnel et physique. Leur silence est souvent le reflet de ce tumulte intérieur, un espace où ils tentent de se construire et de se comprendre, loin du regard (parfois pesant) des adultes.

Leur mutisme peut signifier :

  • Un besoin d’indépendance et de construire leur propre jardin secret.
  • Une peur du jugement ou de notre réaction à ce qu’ils ont à dire.
  • Un manque de vocabulaire émotionnel pour exprimer ce qu’ils ressentent.
  • Simplement un besoin d’espace et de solitude.

Il est essentiel de différencier ces moments de repli sains d’un silence qui serait un signal d’alerte (changement brutal de comportement, tristesse persistante, isolement total, etc.). Dans ces cas-là, n’hésitez jamais à consulter un professionnel.

Les clés pour réouvrir le dialogue : une question de posture et d’adaptation

Face au silence de votre ado, la tentation est grande de forcer la conversation, de poser mille questions, ou de minimiser ce qu’il vit. Pourtant, la clé n’est pas tant de “faire parler” que d’offrir un espace où la parole puisse renaître.

  1. Écoutez sans jugement et validez sa souffrance

C’est probablement la fondation pour réouvrir la communication. Quand votre ado se tait, ou s’exprime avec intensité, son besoin premier n’est pas une solution immédiate, mais d’être entendu et reconnu dans ce qu’il vit.
Un “Ce n’est pas grave” ou “Tu t’en remettras” peut involontairement invalider son ressenti et lui faire comprendre que ce qu’il vit n’est pas important à vos yeux. Rappelez-vous vos propres tempêtes d’adolescent : le premier chagrin d’amour, la trahison d’un ami, l’impression d’être incompris. Pour votre ado, ce qu’il vit est grave, énorme, et réel. Accueillez ses émotions sans filtre, validez son ressenti (“Je vois que cela te touche beaucoup”, “Je comprends que cela soit difficile pour toi”), et pratiquez l’écoute active, sans interrompre ni juger.

  1. S’intéresser à son monde : un pont vers la communication

C’est un pont incroyablement puissant pour renouer le dialogue. S’intéresser à ce qui fait vibrer votre ado, c’est ouvrir une porte vers son cœur. Manga, dessins, jeux vidéo, musique, lecture… ces passions sont bien plus que de simples passe-temps. Ce sont des fenêtres sur son univers intérieur, des clés pour comprendre ce qui le touche, ce qui le passionne, ce qui le fait grandir. Avec mes propres enfants, j’ai vécu ces moments précieux de connexion :

  • Avec ma fille passionnée de lecture fantastique, je me suis plongée dans “Les Gardiens des Cités Perdues”. C’est l’occasion d’échanger nos points de vue, de discuter des personnages, des mondes imaginaires. Un dialogue riche et inattendu.
  • Avec mon fils, j’ai surmonté mes a priori sur “L’Attaque des Titans”. Je me suis laissée entraîner par son enthousiasme, et j’ai découvert une histoire fascinante, des thèmes profonds. Je suis devenue fan avec lui, et nous partageons cette émotion.
  • Mon deuxième fils m’a fait découvrir l’univers du Rap, au-delà des clichés. J’ai appris à le connaître à travers sa musique, découvrant une poésie urbaine qui résonnait en lui.
  • Quant aux jeux vidéo (League of Legends, Minecraft), même si je ne joue pas, je m’y intéresse. Je les regarde construire, les écoute raconter leurs exploits. C’est un moment de partage, une manière de comprendre ce qui les captive.

Ces moments, même anodins, sont précieux. Ils montrent à nos ados que nous les voyons, que nous nous intéressons à eux au-delà des obligations. On leur dit, sans mots : “Tu es important pour moi. Ce que tu aimes compte pour moi.” Et c’est souvent là, en parlant de leurs passions, qu’ils s’ouvrent et se confient.

  1. Adaptez le moyen de communication : au-delà du face-à-face

Les jeunes d’aujourd’hui ont souvent une facilité naturelle avec les communications écrites. Parfois, un SMS ou un message sur les réseaux sociaux peut être le premier pas, un moyen moins intimidant pour eux de s’exprimer.
Si l’échange par SMS s’enclenche plus facilement, allez-y ! L’objectif premier est de rouvrir le canal. Une fois la conversation établie par écrit, vous pouvez tenter : “C’est super que l’on puisse se parler comme ça. Si tu te sens prêt, j’aimerais bien qu’on en discute de vive voix quand tu veux, c’est plus facile pour moi.” Si votre ado refuse le face-à-face, ne le prenez pas personnellement. Ce n’est généralement pas un rejet de vous, mais une difficulté à trouver les mots ou à gérer l’intensité émotionnelle de la conversation en direct. Respectez ce besoin et maintenez le canal qui fonctionne. La porte est entrouverte, il faut lui laisser le temps de l’ouvrir complètement.

  1. Proposez des moments neutres : la balade en nature, un bol d’air et de mots

Parfois, le cadre de la maison peut être trop chargé émotionnellement ou propice aux non-dits. Changer d’environnement peut libérer la parole. Proposer une marche en nature, une sortie à vélo, ou même un trajet en voiture. Le fait d’être côte à côte plutôt que face à face réduit la pression du regard. Le mouvement et le paysage qui défile peuvent favoriser la détente et l’ouverture. Être en dehors de la maison, dans un espace neutre et sans les distractions habituelles, crée un contexte propice à une conversation plus spontanée et moins “dirigée”. Le silence est moins pesant, et les mots peuvent venir plus facilement.

  1. Le défi de l’empathie : rompre les schémas hérités et écouter son cœur

Souvent, face aux silences ou aux peines de nos adolescents, nous réagissons de manière instinctive, reprenant parfois malgré nous les schémas de communication que nous avons connus étant jeunes. Si nos propres parents avaient du mal à écouter sans jugement ou à valider nos émotions, il est contre-intuitif pour nous de faire différemment.
C’est là que réside un véritable défi : être empathique avec nos ados, c’est aussi faire un pas de côté par rapport à nos propres automatismes. Cela demande un travail sur soi, une prise de conscience de nos réactions et de l’héritage de notre éducation. C’est apprendre à écouter non seulement l’autre, mais aussi les échos de notre passé qui peuvent faire barrage.
Ce cheminement n’est pas toujours facile, mais chaque effort pour offrir à votre ado une écoute plus bienveillante et validante en vaut la chandelle. C’est un cadeau immense que vous faites à votre enfant, et à vous-même, en brisant un cycle et en construisant une relation plus authentique et saine. Souvenez-vous que les conseils, même bienveillants, ne sont que des pistes. Votre enfant est unique, et c’est en écoutant votre propre cœur de parent, votre intuition profonde, que vous trouverez les solutions les plus adaptées.

En conclusion, renouer le dialogue avec son adolescent demande patience, bienveillance et une remise en question de nos propres habitudes. En offrant un espace d’écoute sans jugement, en validant leurs émotions, en vous intéressant sincèrement à leur monde, en vous adaptant à leurs modes de communication, et en proposant des moments d’échange dans des cadres neutres, vous jetterez les bases d’une connexion profonde et durable. Faites confiance à votre intuition de parent, elle est un guide précieux.


Pascaline Thilloy est psychopraticienne, spécialisée dans les relations parents-enfants.
Elle accompagne les enfants, les adolescents, les parents et les adultes dans leurs défis émotionnels du quotidien : anxiété, conflits familiaux, épuisement parental, hypersensibilité, difficultés scolaires ou troubles du neurodéveloppement.
Dans son cabinet Espace Émotion et Bien-Être, ou en visio, elle propose un accompagnement à l’écoute, ancré dans la bienveillance, pour aider chacun à retrouver confiance, apaisement et clarté.
Retrouvez-la sur son site www.espaceemotionetbienetre.fr et sur Instagram