L’édito de Marion : le trauma silencieux de l’accouchement

J’ai accouché de mon petit garçon en avril 2017. Ce jour-là, mon bébé est arrivé très vite, on n’a pas eu le temps de me poser la péridurale, même pas le temps de préparer la salle d’accouchement ! 

 

C’est mon mari qui a été réquisitionné pour installer les étriers et le matériel autour du lit, pendant qu’une sage-femme m’accompagnait. J’avais peur, j’avais mal, je ne m’étais pas préparée à un travail aussi rapide et douloureux. Je criais, grognais, tentais de maîtriser mon souffle, de me souvenir de tout ce que j’avais lu et écrit sur le sujet, pour accompagner la douleur au mieux, accompagner mon bébé. Je me souviens avoir crié « j’ai mal », et puis « je veux que ça s’arrête », je pleurais, je respirais, bref, je faisais de mon mieux. À un moment, la sage-femme m’a saisie fermement par les épaules alors que je criais pour accompagner une contraction et m’a dit d’un ton sec « ça suffit maintenant, taisez-vous ».

Le choc. J’ai été estomaquée, j’ai eu honte de moi, j’ai ravalé mes larmes. Et puis j’ai obtempéré malgré moi, me disant qu’elle avait raison, que je devais me faire discrète, j’étais indécente, on devait m’entendre à l’autre bout du couloir. Je me sentais humiliée. Je lui ai quand même demandé dans un souffle « mais je fais comment alors, si je n’ai pas le droit de crier ? ». Je ne sais pas si elle m’a répondu. Elle est sortie de la salle et je ne l’ai jamais revue. Mais je ne l’ai jamais oubliée.
Mon fils est né 20 minutes plus tard, 20 minutes que j’ai passées accompagnée d’une autre sage-femme, qui respirait avec moi, ne me lâchait pas du regard ; nous étions front contre front, elle me tenait par les bras, et m’encourageait en souriant en répétant que j’allais y arriver. Et j’y suis arrivée.
La joie de la naissance, la rencontre avec mon fils, et puis le chamboulement du post-partum m’ont fait oublier l’épisode du cri. Je me souviens l’avoir néanmoins raconté à mon mari quelques jours plus tard peut-être, et de sa réaction attristée et choquée : s’il avait été là (à ce moment-là on lui avait demandé de sortir de la salle), il ne l’aurait pas laissée dire.

Le traumatisme de l’accouchement

Quelques années plus tard, j’ai vu une hypno-thérapeute (pour un tout autre sujet) et ce cri interdit et empêché est remonté à la surface au cours de la séance d’hypnose : elle m’a expliqué que j’avais vécu ce qui se rapproche d’un traumatisme à ce moment-là, quand on m’a défendu de vivre mon accouchement comme j’en avais besoin. Quand on m’a crié dessus parce que je criais. Quand on m’a dit de me taire alors que je donnais la vie. Et que mon corps avait encaissé ce choc à sa façon, en l’enfouissant profondément. Et l’esprit avait ajouté une couche de déni, en estimant que cette sage-femme était juste « surmenée », ou encore « indélicate », que je l’avais « mal pris » mais que ça n’était pas si grave.

J’y ai repensé en regardant en décembre dernier un documentaire sur Arte intitulé « Violences obstétricales ». J’y ai appris que presque une femme sur deux subit desviolences physiques ou verbales lors de son accouchement. Des violences d’autant plus marquantes dans ce moment d’extrême vulnérabilité où nous sommes immobiles, les jambes parfois prisonnières et en proie à une douleur intense. Les femmes qui sont traitées de manière intrusive ou violente au moment de leur accouchement sont dépossédées de ce moment, les études montrent qu’elles risquent de développer des syndromesde stress post-traumatique, un mal-être, une perte de confiance en soi, une difficulté à reprendre une vie sexuelle par la suite, la peur d’envisager une autre grossesse…

C’est seulement à ce moment-là, en découvrant ces chiffres plus de 4 ans après mon accouchement, que j’ai compris.
J’ai compris que j’avais été victime de violences obstétricales, que ce n’était pas « juste des mots » que j’avais reçus, mais que j’avais été traitée de manière violente. D’ailleurs, je ne le savais pas au moment de mon accouchement, les violences obstétricales et gynécologiques recouvrent un très large panel de mauvaises pratiques pendant l’accouchement : l’interdiction de manger, de boire, subir une expression abdominale, se voir refuser ou imposer une péridurale, des agressions verbales, des violations de l’intimité…

J’ai regardé autour de moi et j’ai pensé à mon amie M. à qui on a infligé une révision utérine sans la prévenir ; à mon amie A. à qui on a fait une épisiotomie sans l’en informer et sans anesthésie ; à mon amie F., qui hurlait de douleur durant son épisiotomie parce que la péridurale ne faisait pas effet et qui s’est entendu dire « prenez un peu sur vous » ; à mon amie C., à qui on a imposé une expression abdominale lors de son premier accouchement (pratique pourtant interdite). Comme beaucoup d’autres amies en fait, qui parlent de leur accouchement avec des tremblementsdans la voix, même des années plus tard.
J’ai compris qu’il n’était peut-être pas normal de pleurer en racontant son accouchement : non pas pleurer d’émotion, mais pleurer parce que c’est encore douloureux, que ça fait trop mal pour être raconté, que le corps se souvient et s’effondre quand on le lui rappelle.

J’en ai beaucoup discuté autour de moi depuis, notamment avec mon mari. On a parlé du rôle des conjoints dans la salle de naissance, de la nécessité de pouvoir compter sur eux pour faire le tampon entre nous et l’équipe médicale si besoin. Mais aussi de la nécessité de s’informer avant, pendant la grossesse. Est-il nécessaire de le rappeler : on ne sait pas ce qui nous attend, et tant qu’on n’a pas accouché, on ne peut pas savoir à quoi ressemble un accouchement. On ne sait donc pas ce qui est normal ou non. Bref, en général on subit (pour le meilleur souvent heureusement, mais aussi pour le pire d’autres fois), sans savoir que l’on peut aussi souvent choisir. Choisir qu’on vous informe avant que l’on vous touche par exemple. Choisir de demander une équipe réduite si possible. Choisir de préciser que vous souhaitez (ou non) une péridurale. Il est important de se souvenir qu’un accouchement ça se prépare, ça s’envisage : plus on arrive avec des clefs de décryptage et des connaissances le jour J, plus on peut s’emparer de ce moment qui nous appartient. Parce que certes les femmes accouchent depuis toujours, et leur corps sait faire. Mais je suis persuadée que l’esprit est un allié de choix, et que l’adage qui veut savoir c’est pouvoir a rarement été aussi pertinent que dans une salle de naissance.

Crédit photo : BellyBalloonPhotography x Les Louves