L’édito de Marine : désirer un enfant

On ne sait pas vous, mais depuis quelques temps on ressent un vrai besoin de partage et de sincérité. Les Louves a toujours été un espace de liberté et de bienveillance, et nous souhaitons faire un pas de plus pour partager l’intime avec vous, sans tabous : nous avons décidé de prendre la parole sur des sujets qui nous tiennent à coeur, sur nos vies de femmes, de mères, de cheffes d’entreprise, d’amies… Parce qu’ensemble nous sommes plus fortes, et que parler, c’est déjà  avancer. Pour cette série d’éditos, nous avons la chance de pouvoir compter sur le soutien de Gemmyo, la marque de joaillerie française sur-mesure, qui a à coeur comme nous d’exprimer la singularité de chaque femme*.
Cette semaine, après un premier édito de Marion sur le burn out maternel, c’est Marine qui se confie pour évoquer le désir d’enfant : pourquoi veut-on devenir maman ? Comment vivre avec la peur que notre corps et le temps qui passe empêchent ce désir de se réaliser ? Et si on savait vraiment ce que c’est que d’être mère, voudrait-on encore faire des enfants ?

Si j’essaie de remonter le plus loin possible, d’où vient mon désir d’enfant ? Je me souviens avoir beaucoup annoncé que, moi, j’aurai 4 enfants quand je serai grande. Je me souviens avoir beaucoup joué à la poupée. Tard même, au point de ne plus oser le dire à mes amies qui, elles, avaient lâché leurs poupées depuis un bon moment. Chez moi, en secret, j’aimais toujours autant « jouer à la maman », je nourrissais une passion pour quelques objets, comme des fétiches dont il me fallait toujours renouveler le modèle : biberons, poussettes et landaus. J’ai cru pendant longtemps que je n’étais pas la seule à être spontanément attirée par le rayon bébés des supermarchés, j’étais persuadée que toutes les petites filles de mon âge étaient concernées par ce penchant. Mon album préféré de Martine était évidemment « Martine, petite maman » (ex-aequo avec « Martine, petit rat de l’opéra »). Et puis, les premières discussions sérieuses entre amies sont venues sur le sujet, certaines affirmaient franchement qu’elles ne s’imaginaient pas du tout maman, que ça ne les avait jamais attirées. J’ai donc réalisé qu’on n’était peut-être pas toute égales face au désir d’enfant. 

Malgré tout, mon désir à moi n’était pas le reflet d’une plus grande maturité sur le sujet… Mon fantasme n’avait rien d’abouti, juste un jeu d’imitation, je voulais jouer à la poupée avec un vrai bébé. Je n’avais pas du tout conscience de l’enjeu et des responsabilités qui vous tombent dessus lorsqu’un bébé débarque dans votre vie, ni des concessions et des remises en question que cela engendrait, encore moins de ce que signifiait élever et éduquer un enfant. Sur ce point-là, j’étais complètement alignée sur mes amies ; sur ce point-là, je pense que nous sommes toutes alignées : personne ne réalise avant de le vivre ce que représente vraiment le fait de devenir parent. 

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J’en étais donc là quand j’ai atteint l’âge officiel et raisonnable pour « procréer ». Et quand le sujet a commencé à devenir un vrai sujet autour de moi. Bien loin de m’y atteler aussi, je prenais un chemin qui n’allait pas du tout dans ce sens-là. Passionnée par mes débuts (tardifs, après de longues études) dans la vie active et parisienne, je prenais un malin plaisir à refuser toutes les « voies de garage » (c’est comme ça que je voyais la chose autour de mes 30 ans) qui m’amèneraient à devenir un vrai couple et à fonder une famille. En gros, ma vie amoureuse était un joyeux désastre ; j’aimais l’amour comme dans les romans mais pas comme à la maison. Je me croyais surtout éternellement jeune et fertile.

Je ne sais pas d’où me venait cette certitude que j’étais faite pour avoir des enfants (physiquement et mentalement) et que mon corps ne serait jamais un obstacle : j’avais une confiance aveugle en ma capacité à enfanter. Comme sur beaucoup de sujets (la mort, la maladie, etc.) je ne suis pas de nature à angoisser ou à redouter ce qui peut arriver, parce que je crois un peu en ma bonne étoile et que, toujours par superstition, j’ai toujours eu l’impression que c’est en ayant peur de quelque chose que ce quelque chose vient à vous. J’étais convaincue que mon corps regorgeait d’ovocytes gagnants qui n’attendaient que mon prince charmant pour être fécondés.

Comme toutes les illusions de jeunesse, celle-ci a pris fin, en mars 2016. À l’époque je suis journaliste et je m’intéresse de près à la révision des lois bioéthiques : parmi les nouvelles dispositions il y a l’ouverture du don d’ovocytes aux femmes n’ayant pas encore eu d’enfant. Informée sur le manque d’ovocytes disponibles pour le don en France (3 ans d’attente au moins d’après ce que j’entends), et sensibilisée sur la question par la sœur d’une amie, obligée d’aller en Tchécoslovaquie pour avoir recours à ce don, je me sens concernée et je pense immédiatement à me porter candidate. À l’époque on me pose beaucoup de questions, tendancieuses pour certaines. « Pourquoi vouloir donner mes ovocytes ? » ; sous-entendu « pourquoi vouloir faire un enfant par procuration ? », « pourquoi assouvir ton désir d’enfant en te donnant bonne conscience et risquer de croiser l’un des tes sosies dans la rue dans quelques années ? » Je comprenais que d’un œil extérieur, la démarche, un peu lourde (stimulations ovariennes, ponctions, petit arrêt de travail), et mes motivations semblent psychologiquement douteuses. Mais au fond de moi c’était très sain et très clair : j’étais dans la fleur de l’âge et mon potentiel absolu de fertilité était inutilisé, j’avais du temps. Ce serait presque irresponsable de ne pas donner mes ovocytes sachant tout ce que je savais sur le sujet. Point. Ce qu’on ferait de ces follicules ne me concernait pas. Donner c’est donner. Ça s’arrêtait là.

Après une consultation, peut-être une prise de sang et une échographie destinés à créer mon dossier pour envisager un don, j’ai été rappelée. Et ce coup de téléphone me signifiait en réalité qu’il n’y aurait pas de suite. Je n’étais pas recevable pour le don : ma réserve ovocytaire était trop basse, on ne ponctionnait pas pour si peu d’ovocytes. Évidemment je n’ai rien compris. Je savais qu’on pouvait être recalé au don du sang, mais pas pour un don de « gamètes femelles » généreusement offerts sur un plateau par une célibataire de 30 ans de bonne volonté… J’ai accepté le rendez-vous qu’on me proposait pour avoir plus d’explications. Sans développer ici les détails de ce diagnostic, j’ai donc appris que j’avais bien des ovocytes, certainement de bonne qualité, mais pas en grande réserve. Pour moi (et ma précieuse fertilité), l’ennemi était le temps, et le bébé des 40 ans était certainement inenvisageable, celui des 37 peut-être aussi. On ne savait pas à quel rythme ce stock d’ovocytes s’étiolait, mais il fondait plus vite que celui de mes voisines du même âge, et si je voulais des enfants sans recourir à un don d’ovocytes le mieux était d’agir vite et bien. J’avais 33 ans.

C’est ici que démarre la quête. La peur. Le doute. Les questions. Les scénarios. Le premier est celui du grand vide : je n’aurai pas d’enfants. Puis-je accepter ce scénario qui contredit tous mes projections de vie ? On réalise à quel point (en tout cas pour moi), depuis toujours, toute notre vie intérieure a été conditionnée, tendue par cette projection vers « le jour où » : le jour où notre vie commencerait vraiment ou trouverait sa raison d’être, le jour où l’on aurait un enfant. On s’interroge alors sur le bien-fondé de cette projection… Qui en dit long sur notre rapport à nous-mêmes. Tout remettre en question : et si mon destin est de ne pas avoir d’enfant, quelle sera ma vie ? Sera-t-elle plus ou moins intéressante sans cet événement ? Je me souviens d’avoir imaginé une vie de voyages, une carrière passionnante et hyperactive, une vie d’écrivain et de journaliste volubile, qui compenserait ce que je ne vivrais jamais, la famille que je ne pourrais jamais fonder.

Récemment, au cours d’une discussion avec une de mes grandes amies, et alors que je lui avais raconté à quel point l’arrivée de mon deuxième enfant avait violemment secoué ma vie dans tous ses recoins, elle me demandait si ça valait vraiment le coup de faire un enfant, « si on met dans la balance le pour et le contre, que se passe-t-il ? ». Le genre de questions qu’on n’ose plus formuler une fois que l’on a passé le cap et que nos enfants sont là. J’avais trouvé la question plus que stimulante : je lui avais répondu qu’on n’est certainement pas toutes faites pour être mères mais que malheureusement c’est impossible à savoir avant de le devenir. On aura beau te prévenir qu’un enfant est une corde au cou, un événement aliénant et un sujet de préoccupations pour le restant de tes jours, que l’égoïsme n’est plus une option une fois qu’il est entré dans ta vie, tu auras malgré tout envie de tenter ta chance et de savoir comment c’est de l’autre côté. C’est donc là, dès le moment où mon désir d’enfant se concrétise et devient presque une nécessité, que commence le vrai voyage vers l’inconnu : le parcours pour devenir mère débute sur des peurs et des doutes. Et sur l’attente.

C’est là que commencent l’exploration de soi et de son corps : si l’on formule un désir conscient de tomber enceinte, il faut surveiller son cycle, donc apprendre à le connaître. On attend alors les jours d’ovulation avec excitation, les jours de règles avec fébrilité. C’est le commencement d’un nouveau rapport à notre corps, à la compréhension de son fonctionnement : on attend de lui quelque chose qu’il ne nous donnera peut-être pas tout de suite. Nos règles, subies depuis l’adolescence comme un fardeau à porter une semaine par mois, deviennent les points de repères de notre nouveau projet de vie. L’attente, quand on a le projet de faire un enfant, nous rend plus alertes à tous les signaux que nous envoie notre corps. Tout à coup dotée d’hypersensibilité, une intuition presque animale nous fait suspecter chaque mois le début de quelque chose. Un jeu de dupes s’engage entre nous et notre corps qui semble prendre plaisir à nous tromper : dégoût, nausées, pesanteur dans le bas-ventre, retards de règles avérés. Du pur bluff physiologique pour nous pousser jusqu’à la pharmacie acheter notre premier test de grossesse. Les règles. La trace de sang sur le linge blanc que l’on redoute à chaque passage aux toilettes (certaines ont peut-être eu ce même réflexe de ne porter que des culottes blanches dans cette période pour mieux identifier chaque signe et analyser la coloration de leurs glaires ?), est un couperet. La blessure ouverte de notre incapacité à enfanter. Le ventre vide et inutile. Et voilà le premier coup de pied balancé en plein ventre de notre féminité : suis-je encore une femme si je ne suis pas capable d’avoir un enfant ?

Indéniablement, notre corps et notre esprit se jouent de nous dans cette période. Est-ce pour mieux nous préparer à ce qui doit arriver ? Est-ce pour nous rendre plus endurantes en vue de la suite ? Pour nous faire comprendre que tout ça se mérite et se prépare ? Que la nature prend son temps et se moque de nos agendas ? Cela me fait penser à ce qu’on appelle le « faux travail » avant l’accouchement : ces contractions qui nous font croire que le jour est arrivé, qui nous préparent et nous trompent, pour nous donner un avant-goût de ce que l’on va vivre.

Et puis il y a celles qui au contraire n’ont pas le temps de vivre cette attente, qui tombent enceintes dès leurs premières tentatives ou sans l’avoir désiré. Oui ; aucune généralité n’a sa place ici et nous n’avançons pas toutes au même rythme sur le chemin de la maternité.

Cette inégalité entre nous toutes est justement ce qui peut rendre cette attente si douloureuse. Pour moi, quelques mois ont suffi pour avoir un aperçu de ce que pouvaient vivre toutes celles qui cumulent des mois ou des années de démarches et d’échecs dans un processus de procréation médicalement assistée. Croiser une femme fièrement enceinte dans la rue peut vous faire l’effet d’une flèche dans le ventre et par une sorte de déformation mentale vous avez l’impression que toutes les femmes de la terre sont enceintes, excepté vous. Côtoyer une amie enceinte alors que vous désespérez depuis plusieurs mois de voir le test afficher deux barres roses au lieu d’une, est une petite torture. Le regard que l’on porte sur soi et sur les autres femmes évolue insidieusement, et on a vite fait de se sentir moins femme, comme incomplète. L’épreuve serait sans doute plus facile à vivre si l’on pouvait la traverser à deux et en huis clos, loin des autres femmes. Parce que quoiqu’on en ait honte, la jalousie peut être réelle et violente lorsqu’on veut un enfant et que l’on n’y arrive pas, face à celles qui y parviennent vite et bien. S’ajoutent à tout cela les mots et les questions, bienveillantes ou maladroites, de ceux qui veulent vous aider, les discours qui vous renvoient à votre soupçon de départ : sans enfants, la vie vaut-elle d’être vécue ? Sans s’en rendre compte, notre société ne cesse de le sous-entendre et l’injonction à la parentalité n’a peut-être jamais été aussi forte.

Pour autant, on ne devient pas aigrie, ou pas pour longtemps. Pour autant, toutes les femmes qui ont attendu ou attendent fébrilement de tomber enceintes ne sont pas devenues des monstres de jalousie. Une forme de résilience ? Et si ce qui se jouait dans cette période faisait aussi partie du voyage ? Et si tout ça nous donnait des armes pour affronter une nouvelle ère de notre vie, l’occasion de développer des capacités de résistance et de lâcher-prise, tellement utiles pour la suite : les neufs mois de grossesse, la naissance et l’accueil d’un enfant ? Je suis heureuse que cette période où l’on essayait d’avoir notre premier enfant apparaisse finalement et après-coup, comme un bon souvenir. Un projet de couple, notre premier vrai projet à deux. Une période un peu douloureuse mais très belle. Émotionnellement éprouvante mais gravée du côté des belles images dans ma mémoire. Ces journées où l’on refait l’amour 3 fois, où l’on rit, où l’on espère. Ce moment où l’on ré-envisage son corps avec plus de bienveillance et de douceur.

J’ai aujourd’hui deux enfants, tous les deux désirés, et je comprends plus que jamais l’importance dans ce désir dans le processus de maternité : le temps du désir nous aide à nous préparer et à mieux accepter notre nouvelle identité de mère, la rupture que représente la naissance d’un enfant dans nos vies, la reconfiguration de tous nos schémas de fonctionnement psychologique. Chaque naissance est une renaissance pour la mère.

Si je devais désirer un troisième enfant, je le désirerais de toutes mes forces et avec joie, parce que je sais aujourd’hui que son histoire et la mienne (re)commencent là, j’essaierais de gommer tout le stress que le projet peut engendrer pour ne garder que les bons côtés. Je miserais sur les supers pouvoirs d’un esprit apaisé sur le fonctionnement de mon corps, j’accepterais de perdre un peu le contrôle et de lâcher prise. Je me préparerais à (re)naître une troisième fois.

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Nous remercions Gemmyo, la première marque de joaillerie personnalisée, fabriquée sur-mesure en France, grâce à qui nous pouvons réaliser cette série d’éditos à cœur ouvert. Gemmyo c’est avant tout une rencontre :  on a longtemps rêvé d’y choisir notre bague de fiançailles, de se faire offrir l’un de leurs bijoux délicats à l’occasion d’une naissance ou de célébrer nos petites et grandes réussites personnelles en s’offrant l’une de leurs créations. Exprimer la singularité de chaque femme, oser devenir soi-même, explorer et s’accepter : nous partageons une même vision de la féminité et sommes honorées du soutien de Gemmyo. Marine porte des créations issues de la dernière collection EverBloom II, qui met à l’honneur les pierres de naissance.

Crédit photo : BellyBalloonPhotography x Les Louves