Comment reprendre le travail après son congé maternité alors que l’organisation de notre nouvelle vie de famille est encore balbutiante ? Comment éviter le baby clash, ce moment de grandes tensions que connaissent les couples après l’arrivée d’un bébé ? Quels sont les game changers de ce retour au travail ? Discussion et conseils affutés d’Isma Lassouani, co-fondatrice de l’agence Issence qui accompagne les entreprises et les femmes dans la période clef du 5ème trimestre.
On a l’habitude d’aborder la question de la reprise du travail après un congé maternité sous l’angle professionnel. Pourtant, le côté perso n’est pas en reste et est sous-tendu de nombreux enjeux et défis pour les jeunes mères et le co-parent…
Il se joue beaucoup de choses côté perso. C’est souvent un peu le bazar, il faut l’avouer : un bébé qui se réveille encore la nuit, un mode de garde à apprivoiser, une course contre la montre matin et soir, un couple qui cherche son nouveau rythme avec peu de temps pour le faire ensemble…
Côté bébé, la reprise du travail marque un tournant. Après les premiers mois passés dans un cocon avec son bébé, pendant lesquels on attendait de la mère un lien instinctif et naturel, on attend d’elle, du jour au lendemain, d’être capable de s’en séparer. Il est tout à fait normal d’avoir besoin d’un temps d’ajustement.
Se projeter dans un quotidien professionnel – qui signifie confier son bébé chaque jour – peut être déstabilisant. On peut redouter ce moment tout en ayant hâte de retrouver un rythme à soi. Tous les ressentis sont valides.
Là encore, il faut du temps et du tâtonnement pour s’accorder avec la crèche ou la nounou, pour installer un nouvel équilibre avec son bébé sans angoisse ni culpabilité, …
Côté couple, si l’arrivée d’un enfant bouleverse chaque parent individuellement, elle redéfinit aussi profondément la relation. Passer de couple amoureux à couple parental, puis à couple parental actif, est un immense défi auquel on n’est pas préparés ! Ces transitions surviennent très vite, alors même que chacun s’ajuste à ses nouveaux rôles, à son propre rythme, dans un contexte de grande fatigue.
Pour la femme, qui continue encore trop souvent à porter l’essentiel de la charge mentale, domestique et parentale, le « faire équipe » est un sujet quasi systématique. C’est une période de redécouverte mutuelle et de tâtonnements qui peut amener des tensions – voire ce qu’on nomme le « baby clash ». Trouver de nouveaux repères ensemble demande du temps et de la patience et pour les couples qui le souhaitent vraiment, des solutions existent pour mieux fonctionner à deux et même renforcer la relation.
Vous rappelez l’importance de s’appuyer sur son conjoint mais aussi sur son « village ». Comment s’organiser concrètement ?
Oui parce qu’on n’est pas censée tout porter ! Même si on nous a fait croire le contraire, dans une société très centrée sur la famille nucléaire. Chacun se débrouille dans son coin, alors que cette période appelle du soutien, des relais, de l’entraide, des partages d’expérience. Un conjoint présent change tout : moins de fatigue, moins de stress, une meilleure transition. Mais cela ne se décrète pas : ça se construit. Ça demande du dialogue, du temps, de l’ajustement. De façon concrète, pour l’aménager on peut :
- anticiper des congés ou horaires souples côté partenaire les premiers jours / semaines ;
- instaurer un point hebdomadaire à deux pour organiser la semaine à deux en discutant des impératifs, des besoins de chacun et des moments à réserver pour le couple ou pour soi-même ;
- utiliser un agenda partagé en ligne ou à afficher ;
- Lister (vraiment en détails) toutes les tâches domestiques et familiales, dont une grande partie est invisible, pour mieux les répartir. Cela peut paraître poussif les premières fois mais plus on pratique plus c’est fluide.
Et puis, activer son village : grands-parents, amis, voisins, collègues, parents de crèche, professionnels de santé, prestataires… La période est idéale pour apprendre à demander de l’aide ou déléguer sans culpabilité : faire garder son bébé une heure, se faire livrer un repas, se faire aider pour le ménage, prendre un moment à deux…
Et ce n’est pas que pour les tâches pratiques. Le soutien moral est vital. Dans notre livre, on parle de comment préserver des bulles d’oxygène pour ne pas s’oublier au passage et se rappeler que tout cela est normal. Dans un temps limité et contraint, on a parfois tendance à aller vers une organisation « à l’os » en ne gardant à son agenda que ce qui semble obligatoire. On est amenés par exemple à déjeuner sur le pouce pour partir plus tôt, à refuser des invitations qui semblent compliquées sur un plan logistique… C’est un mauvais calcul qui peut créer un sentiment d’isolement, alors même qu’on a un fort besoin de soutien et de respiration.
Isma Lassouani et Clémence Pagnon ont fondé l’agence Issence en 2019 : elles accompagnent les entreprises et les femmes face aux enjeux de la parentalité au travail.
Elles publient en 2025 Le 5e trimestre, Bien vivre son retour de congé maternité (éd. Solar).