Sevrage : pourquoi la fin de l’allaitement nous bouleverse-t-elle autant ?

Si les difficultés du début de l’allaitement sont de plus en plus connues, on parle moins de celles qui concernent son terme. Pourtant, le sevrage déclenche souvent des émotions très difficiles à vivre chez les jeunes mères. Tristesse, colère, culpabilité, comment s’expliquent ces sentiments ? Quelles conséquences sur le sevrage ? Et comment traverser le plus sereinement possible cette période de transition ? Éclairages et conseils avec la consultante en lactation Carole Hervé.

C’est un passage obligé souvent vu – par les autres – comme une simple formalité. Et pourtant… « Ma dernière semaine d’allaitement a été un déchirement, raconte Marie, 31 ans, maman d’un petit Raphaël qui avait alors trois mois. Je vivais déjà mal ce sevrage qui n’était pas un vrai choix. C’était une injonction : j’arrêtais d’allaiter à cause de ma reprise du travail alors que tout ce dont j’avais envie c’était de passer encore au moins trois mois rien qu’avec mon bébé. Et tirer mon lait était pour moi inenvisageable : je n’y étais jamais arrivée. La dernière tétée a été horrible, j’en pleurais, je regardais mon fils et j’avais l’impression qu’on m’enlevait le lien que nous avions tissé. »

Des émotions intenses, dont on parle rarement, mais qui sont en réalité assez répandues, nous explique la consultante en lactation Carole Hervé. « Proportionnellement, pour une même patiente, j’ai plus de consultations sur le sevrage que sur l’allaitement ! analyse-t-elle. Pour l’allaitement, une ou deux séances suffisent, alors que pour le sevrage, les femmes ont besoin de plus de temps, de revenir. » Car sevrer son enfant, explique la thérapeute, c’est dire au revoir aux premiers mois de son enfant. Forcément bouleversant, même lorsqu’on a allaité aussi longtemps qu’on le souhaitait. « Les jeunes mères aiment cette relation qui s’est nouée pendant l’allaitement, et elles n’ont pas envie de passer à autre chose, même si elles ont parfois du mal à poser des mots dessus, à le conscientiser. C’est une période très chamboulante car il y a un phénomène de deuil à faire : le deuil du nourrisson, qui grandit, du petit bébé, parfois même du dernier enfant. »

« Si le bébé sent que la décision n’est pas ferme, il s’y engouffre »

Ces émotions difficiles à vivre peuvent compliquer encore le sevrage. « J’ai voulu une première fois sevrer ma fille lorsqu’elle a eu 15 mois », se rappelle Patricia. « Mais je n’en ai jamais vraiment eu le courage. La fatigue, la peur d’affronter les nuits de pleurs… Je traînais pour démarrer. En réalité, je n’étais pas prête, j’espérais au fond de moi, qu’un jour, Flora se réveille et, d’elle-même, n’ait plus envie de téter. Ce que l’on m’a souvent dit à l’époque, c’était que “lorsque la maman était prête, l’enfant comprenait”. D’ailleurs ce n’est que lorsque j’y ai été obligée, à cause d’une hospitalisation, que j’ai enfin réussi à le faire. »

En effet, observe Carole Hervé, les enfants ont tendance à percevoir les non-dits, et à ressentir les émotions de la mère. Et s’ils sentent que la décision n’est pas ferme, ils s’y engouffrent. Une situation qu’a également vécue Pauline : « J’avais l’impression qu’en arrêtant, je cesserais de donner le meilleur à mon enfant, je cesserais d’être une bonne mère, analyse-t-elle. J’étais déchirée, j’avais envie d’arrêter mais je culpabilisais. Résultat : le sevrage a pris trois mois, ma fille refusait de prendre le biberon à la crèche ce qui m’angoissait beaucoup. Elle se rattrapait avec moi le soir, et n’a vraiment accepté de prendre le biberon que lorsqu’un jour, après qu’elle m’a mordue, je me suis enfin réellement décidée à la sevrer complètement. »

Comment traverser le sevrage le plus sereinement possible ?

Tout d’abord, en mettant des mots sur ce que l’on vit, pense et ressent, lors de conversations avec son conjoint, des proches, ou même un professionnel. « Le sevrage implique tellement d’émotions que les jeunes femmes ont besoin d’être écoutées, entendues », souligne Carole Hervé. Parler permet aussi de démêler ses pensées, de les mettre au clair, et donc de se mettre en accord avec soi-même et de distinguer ce que l’on veut, ou pas. Indispensable pour se sentir aux manettes et mieux vivre cette période.

Il est ensuite essentiel de valoriser son allaitement, estime la thérapeute, et ce, que l’on ait allaité trois semaines, six mois, ou deux ans. « Les mères ont besoin qu’on reconnaisse la valeur de leur allaitement. Car c’est une relation tellement intime et charnelle, qu’elle comble et remplit la jeune maman, mais qu’on ne peut pas comprendre quand on ne l’a pas vécue. On n’a pas idée à quel point c’est intense pour une mère. » « L’attitude de Gauthier, mon mari, a beaucoup joué, confirme Marie. Il me mettait en avant, en me disant “Pendant trois mois, tu as géré ça toute seule, malgré tes douleurs, malgré les difficultés, et si Raphaël pèse le poids qu’il fait aujourd’hui, c’est uniquement parce que tu l’as nourri avec ton corps et ton amour, tu peux vraiment être fière de toi”. Ça m’a aidée à me dire que j’avais eu un bel allaitement, et donc à passer à autre chose. »

Vivre un sevrage heureux

Enfin, ce sont aussi les avantages de la vie après le sevrage qui consolent les jeunes mamans. « La perspective de nuits sans tétée m’a énormément motivée, se remémore Patricia. Et j’avais envie d’inventer d’autres rapports avec ma fille, ne plus utiliser l’allaitement pour tout : soulager, consoler, endormir, calmer… » « J’ai acheté du champagne et j’ai appelé toutes mes copines en leur disant “Ça y est, je peux boire à nouveau !” » s’exclame quant à elle Céline en riant. Organiser une petite fête pour célébrer la fin du sevrage et se féliciter, une initiative également excellente pour le moral et l’estime de soi.

D’autant que la vie après l’allaitement se révèle bien loin de ce que ces jeunes mamans redoutaient. « Même si, pendant un moment, l’allaitement m’a manqué, je me suis rendu compte très vite que le sevrage ne brisait en rien notre lien », témoigne Marie. « Au bout de quelques jours, j’ai découvert avec joie ce que cela signifiait de pouvoir s’absenter plusieurs heures, d’être libre, et de ne plus devoir rentrer en urgence nourrir mon fils ! » renchérit Céline.

Un « après-sevrage » heureux qui permet aussi de mieux vivre les sevrages des éventuels enfants suivants, comme l’observe Céline qui vient de sevrer sa petite fille. « Pour Diane, cela a été beaucoup moins difficile. En tout cas, je n’en ai pas pleuré ! » Un apaisement confirmé par Marie : « Mon second garçon doit naître dans quelques jours. Je ne sais pas comment l’allaitement se déroulera, mais pour le sevrage, en tout cas, je sais que je serai plus sereine », conclut-elle.

Crédit photo : Timothy Meinberg / Unsplash