Le don d’ovocytes est une réalité floue, quelque chose d’assez mystérieux pour la plupart d’entre nous. Nous qui sommes pourtant les premières concernées par le don et la nécessité du don : femmes et jeunes femmes en âge de concevoir des enfants, en attente d’une grossesse, en parcours de PMA, jeunes mamans déjà comblées ou futures mamans… La réalité est qu’il manque chaque année près de 700 donneuses pour satisfaire les couples infertiles en attente d’ovocytes pour une FIV. Une bonne raison de partager le témoignage de Gaëlle, maman de 3 enfants et heureuse donneuse de 16 ovocytes en mai 2018.
C’est en 2013 que j’ai découvert un peu par hasard le témoignage d’une blogeuse qui avait fait un don d’ovocytes. J’avais déjà entendu parler du don de sang, de plasma ou de sperme, mais je n’avais jamais rien lu sur le don d’ovocytes. Curieuse, je me renseigne. Je trouve quelques témoignages sur le don d’ovocytes mais surtout beaucoup d’articles sur les fausses couches, la PMA, le deuil périnatal. Peu à peu je découvre toutes ces histoires de femmes qui attendent depuis si longtemps et qui décrivent un parcours que je ne soupçonnais pas. J’ai deux enfants et je me rends compte que j’ai beaucoup de chance, je suis toujours tombée enceinte au premier cycle, pas de fausses couches, pas de difficultés. Je prends alors conscience que pour beaucoup de femmes ce n’est pas le cas. Je crois que c’est à ce moment-là que je me suis dit : et si moi aussi je donnais mes ovocytes ? Mais l’idée m’effraie un peu, le traitement, les injections, la ponction, je ne sais pas si j’en suis capable. Surtout, je déteste les actes gynécologiques, chaque année je décommande mon rendez-vous gynéco au moins deux fois avant d’y aller pour de vrai. Le projet me semble alors un peu compromis et mes recherches s’arrêtent là. Mais l’idée reste dans un coin de ma tête et j’y pense, par périodes.
En 2017 l’idée resurgit. Entre temps mon troisième enfant est né, je suis comblée et ma famille est au complet. Mais autour de moi plusieurs couples rencontrent des difficultés, je repense alors au don, je passe de longues heures sur Internet à lire des témoignages, des protocoles, des comptes rendus, je regarde même des vidéos de conférences sur le sujet. Cette fois je me dis que je pourrais bien aller au bout mais dans le doute je n’en parle à personne, pas même à ma famille. Tant que je ne suis pas sûre de faire le don je préfère ne pas l’évoquer.
Le parcours pour être candidate au don d’ovocytes
La première étape est administrative, je contacte le CECOS(Centre d’Étude et de Conservation des Oeufs et du Sperme humain) de mon choix (un annuaire les répertorie tous) par mail et quelques semaines plus tard je reçois un dossier avec des ordonnances pour pratiquer des examens en ville. Un mois après je renvoie tout. Rapidement ma « pré-demande » est acceptée et je reçois une convocation pour me présenter à l’hôpital Cochin rattaché au CECOS que j’ai choisi. Je dois rencontrer des médecins et passer plusieurs examens. La véritable aventure commence, j’entre dans le monde silencieux et complexe de la PMA.
Sur toute une matinée, je rencontre plusieurs professionnels de santé afin de compléter mon dossier.
- Un psychologue qui me pose un ensemble de questions afin de déterminer le motif de ma démarche.
- Une biologiste qui étudie mes caractéristiques génétiques, ce qui permettra de choisir au mieux la compatibilité avec les couples receveurs. En France le don est gratuit et surtout anonyme, cela signifie que je ne saurai jamais qui a reçu mes ovocytes ni où sont ces enfants nés de mon don. Comme ces enfants et leurs parents n’auront jamais accès à mon identité.
- Une généticienne qui retrace tout mon arbre généalogique, grands-parents, parents, oncles, tantes, cousins… Tout le monde est décortiqué. Elle étudie les antécédents, les risques médicaux et m’informe qu’un caryotype sera réalisé afin de savoir si je n’ai aucune anomalie génétique qui m’empêcherait de donner mes cellules.
- Une gynéco qui m’explique tout le protocole, les examens, les injections, la ponction et les effets secondaires.
La matinée se termine par des prélèvements sanguins notamment pour établir mon caryotype. Avec tous ces éléments, ces quatre professionnels montent un dossier qui passe en commission. Si ma « candidature » est validée, on pourra alors lancer la véritable mise en place du don.
En sortant je suis un peu à plat, ça fait beaucoup de questions et d’informations sur une seule matinée mais au moins tout est bouclé. Sur les conseils de la généticienne j’informe enfin ma famille de ma démarche. Mon mari à qui j’en avais bien évidemment déjà parlé doit donner son accord écrit. Les réactions sont assez variées mais plutôt bienveillantes. L’expliquer à mes propres enfants a été un moment particulièrement marquant pour moi. Je ne l’avais pas anticipé et c’est venu simplement dans une discussion sur le fait d’avoir des enfants. Leur dire comment, mais surtout pourquoi, j’allais donner « mes œufs » comme ils disent, c’était pour moi comme de leur raconter l’aboutissement de ma maternité, le bout d’un chemin.
Le traitement de stimulation et le choix des receveuses
Deux mois plus tard (les délais sont assez longs), je reçois le feu vert du CECOS : je suis autorisée à faire ce don ! Un dernier rendez-vous avec une gynécologue est fixé. Elle fait une échographie pour vérifier mon cycle et fixer le début du traitement. Il faut savoir qu’en France le don d’ovocytes est totalement pris en charge par la sécurité sociale, je n’ai eu aucun frais à avancer pour l’ensemble du traitement prescris. La gynéco m’explique tout, me montre chaque injection, me rappelle l’importance d’être ponctuelle et constante dans les piqûres qui se feront sur dix jours environ. Elle me donne beaucoup d’informations, sur le coup j’en oublie la moitié mais tout est rédigé sur une sorte de mode d’emploi de la stimulation. Il y a 4 produits, 3 sont sous forme d’injections et le dernier se présente comme un stylo. Tout se fera à la maison. Devant mes nombreuses questions elle me répond avec humour que l’on trouve de merveilleux tutos sur Internet qui expliquent tout beaucoup mieux qu’elle. Je souris. Juste un peu pour ne pas la vexer mais dans ma tête je me dis, bordel comment je vais faire pour ne pas me planter ! Elle m’informe également que deux receveuses vont être contactées en fonction de leurs cycles et de leurs caractéristiques génétiques, deux receveuses à qui mes ovocytes seront attribués. Il n’y a donc pas de congélation d’ovocytes, les couples receveurs sont convoqués le même jour que moi et les ovocytes sont immédiatement fécondés. (Le jour de la ponction j’essaierai d’ailleurs de deviner lesquelles sont mes receveuses). Sans certitudes évidemment. Chacune se verra attribuer 5 à 7 ovocytes en moyenne afin de faire plusieurs tentatives et de privilégier des fratries aux mêmes gènes. Ils en implantent un ou deux, puis quelques années plus tard ils refont une FIV avec mes ovocytes qui sont gardés pour elle. Ainsi ces deux femmes pourront concevoir un, deux, voire même trois enfants qui auront mes gènes, ils seront donc de vrais frères et sœurs. S’il y a des ovocytes en plus ils seront conservés pour d’autres receveuses ou pour la recherche.
Les injections d’hormones
Quelques temps après ce rendez-vous, le traitement commence. Au début il s’agit de mettre mes ovaires au repos en attendant le bon moment pour les injections d’hormones. Puis on me prescrit les premières hormones afin de stimuler la croissance des ovocytes. Pour les injections, on peut demander l’aide d’une infirmière à domicile, là encore c’est complètement pris en charge par la sécurité sociale. Je me suis finalement débrouillée seule comme une grande et la gynéco avait raison, on trouve tout sur Internet, dont quelques vidéos qui expliquent comment se faire une injection ! (ça non plus je ne savais pas que ça existait…) Une surveillance médicale régulière permet d’ajuster les doses du traitement et de voir comment mon corps réagit. Si pour les deux premiers produits tout se passe bien, pour le troisième, le Puregon, les effets secondaires se font un peu plus ressentir. Ce n’est pas douloureux, juste un peu gênant : gonflement, douleurs pelviennes et lombaires, mais ça reste tout à fait supportable. La deuxième semaine tout s’accélère avec deux injections quotidiennes, une surveillance écho et des prises de sang tous les deux jours à l’hôpital. C’est un peu la course. J’ai de la chance je réagis bien au traitement et sans trop d’effets secondaires. La date est enfin fixée et l’heure de la dernière injection, celle qui provoquera la grande ovulation tant attendue, arrive. On me donne une heure très précise pour la faire et le lendemain, les yeux rivés sur la montre, je me pique à l’heure convenue. La dernière injection… Sensation étrange de peur et d’excitation. J’arrive au bout de l’histoire.
La ponction
Le 31 mai 2018 je rentre à l’hôpital à 7 heures, on m’attribue une chambre et à 8 heures après une douche à la Bétadine je suis la première à passer au bloc. Partout autour de moi des femmes qui viennent pour une ponction en vue d’une FIV, mais je suis la seule donneuse. Incognito. J’ai choisi d’avoir une anesthésie générale, je ne verrai ni ne sentirai rien. C’est plus simple pour moi, ça m’enlève le stress et la peur d’avoir mal. Toute l’équipe est extrêmement bienveillante avec moi, pourtant personne ne sait pourquoi je suis là en réalité, l’anonymat est maintenu jusqu’au bout et seule la gynéco semble savoir la véritable raison de ma présence. Le moment est venu, j’arrive au bloc, le temps de compter jusqu’à 2 et je m’endors. À mon réveil tout est terminé, sensation de fierté et de plénitude, j’ai réussi ! 16 ovocytes prélevés. 16 ovocytes c’est ce qui devrait permettre à mes deux receveuses de devenir maman. Cela devrait même offrir cette possibilité à une troisième receveuse. Je suis fatiguée mais comblée.
Ces enfants qui ont mes gènes…
Maintenant que l’aventure est terminée je pense à elles et je pense à eux. À ceux pour qui la véritable aventure commence enfin. Ces futures mères, ces futurs enfants. Ces enfants qui sont les miens, biologiquement ils le sont car ils ont mon patrimoine génétique. Mais je ne les ai pas désirés, je ne les ai pas portés, ni attendus, ils ne sont pas mes enfants puisqu’ils ne sont pas le fruit de mon amour.
Je suis consciente que ces enfants vont grandir « à côté » de moi, puisque mes receveuses viennent du même département apriori… J’ai déjà probablement rencontré ces femmes qui ont reçu mes ovocytes. Dans la salle d’attente, j’y pensais à chaque fois en les regardant. Quand il y en avait une qui me ressemblait je ne pouvais m’empêcher de me demander si elle faisait partie de mes receveuses… J’ai déjà pensé à la possibilité de croiser l’un de ces enfants, est-ce que je le reconnaîtrais ? Comment s’appelle-t-il ? Où vit-il ? Sa mère, me ressemble-t-elle ?
Ces enfants vont naître en mars 2019, c’est tout ce que je peux savoir. Et puis avec un peu de chance d’autres enfants suivront dans quelques années. Dix naissances maximum, c’est ce que prévoit la loi. Je pense que si jamais un jour je croise un enfant qui ressemble à l’un de mes propres enfants je serai un peu bouleversée par cette incertitude : « Est-ce lui ? Est-ce l’un « des miens » ? Je ne pourrai probablement jamais le savoir… C’est pour cette raison qu’il était important pour moi de le dire à mes enfants. Ils doivent savoir que des enfants aux mêmes gènes qu’eux grandissent à proximité. J’ai lu beaucoup de témoignages d’enfants nés de don de cellules et qui disent avoir besoin de connaître leurs origines. Pour ma part et même si les choses sont très claires dans ma tête, je comprends que l’on veuille savoir d’où l’on vient et je ne suis pas opposée à une rencontre dans quelques années, c’est d’ailleurs écrit dans mon dossier.
Je pense à moi aussi, à la raison qui m’a poussée à faire ce don. Je l’ai fait parce que c’est un sujet qui me touche, beaucoup, et depuis de nombreuses années. Je l’ai fait parce que je trouve injuste que certaines femmes soient privées de maternité parce que leurs cellules ne fonctionnent pas correctement. Toutes ces femmes que j’ai croisées dans ces salles d’attente où la déco te dit partout comment bien tomber enceinte. Des femmes pressées, des femmes inquiètes, des femmes qui embrassaient leurs conjoints, des femmes qui avaient les yeux fatigués ou le regard impatient. Je l’ai fait pour elles et parce que je pouvais le faire. Mais je n’ai pas agi uniquement par pure générosité je l’ai fait aussi pour moi, pour être fière de moi et pour me sentir encore plus forte. Aujourd’hui je sais que je peux enfin en parler sans être mal à l’aise. Je ne suis plus gênée et ce n’est plus un secret.
Depuis, je compte les mois et j’espère que ces petites cellules sont bien accrochées dans des ventres qui s’arrondissent. J’y penserai aussi probablement dans quelques mois au moment de la naissance et puis de moins en moins j’imagine…
Passer le relais
Si j’en parle aujourd’hui c’est parce que c’est comme ça que j’ai découvert le don d’ovocytes, en lisant le récit d’une autre donneuse. Sans ça je n’aurais probablement jamais su que c’était possible en France. L’agence de biomédecine a lancé il y a quelques années une campagne avec des affiches et des brochures pour expliquer la procédure et susciter une augmentation des dons. Mais ces documents, je ne les ai trouvés nulle part. Il y a bien un site www.dondovocytes.fr mais je n’ai rien trouvé par hasard, toute la documentation que j’ai eue c’est parce que je l’ai volontairement cherchée. Loin de moi l’idée de convaincre ou de militer, juste d’informer que cela existe. En laissant là mon histoire j’ai un peu l’impression de passer le relais.
Pour être donneuse il faut être en bonne santé et avoir moins de 37 ans au moment du don. #passelerelais
En 2016, 746 femmes ont donné leurs ovocytes, permettant à 968 couples de recevoir un don d’ovocytes dans leur parcours de PMA, et donnant lieu in fine à 255 naissances. (Source : dondovocytes.fr)