Confidences de maman : Agnès Labbé et l’éducation approximative

Maman de quatre enfants dont des jumeaux, Agnès Labbé compose depuis quelques temps entre l’éducation bienveillante et la réalité des aléas de son quotidien ; crier de temps en temps, faire preuve d’autorité et ne pas se justifier sans cesse devant son enfant sont autant de notions qu’elle déculpabilise avec beaucoup de justesse et d’humour dans son livre : « L’éducation approximative ou comment appliquer l’éducation positive dans la vraie vie » (Marabout). On l’a rencontrée à l’occasion de notre dernier Small Talk pour en savoir plus sur sa « méthode ».

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Voilà un livre que j’aurais bien aimé lire avant d’avoir mon premier enfant, qui ne nous dit pas vraiment comment faire mais plutôt comment ne pas croire qu’on fait mal, et culpabiliser une fois de plus… Truffé de conseils réalistes, de réflexions rassurantes et mâtiné de bon sens, ce petit anti-manuel d’éducation plaira aux mamans déjà détendues sur les sujets crispants comme les écrans, l’allaitement ou les petits pots, et aidera les plus rigoureuses à se détendre un peu. Je l’offre volontiers à mon amie enceinte de son premier, il lui donnera les clefs pour s’écouter, trouver sa façon de faire et se faire confiance avec son enfant, de la naissance à la pré-adolescence.

Comment as-tu vécu l’arrivée de tes 4 enfants ?

Avec beaucoup d’impatience ! Il y a 3 ans d’écart entre chacun de mes enfants – Raphaël a 11 ans, Gabrielle a 8 ans, les jumeaux Jules et Louise ont bientôt 5 ans, ce n’est pas trop rapproché, juste ce qu’il faut pour qu’à chaque rentrée scolaire, un autre bébé pointe son nez !  L’entrée à l’école des jumeaux a été la plus difficile, et j’ai eu beaucoup de mal à me dire que je n’aurais plus d’autre enfant. Ce moment où tu donnes tes petits pyjamas taille 3 mois, où tu vends ta poussette… C’est terrible … D’ailleurs, j’ai quand même gardé les lits parapluie et la poussette, impossible de m’en séparer, ce sera pour mes petits enfants !

Est-ce que tu souhaitais une famille nombreuse depuis toujours ?

J’adore la grossesse, j’adore accoucher, j’adore les nouveau-nés … Et même si j ‘ai trouvé les nuits blanches horribles, respirer l’odeur d’un nourrisson est quand même le truc le plus cool que je connaisse ! Alors oui, j’ai toujours rêvé secrètement d’une famille nombreuse. Mais si je n’avais pas eu les jumeaux on se serait sûrement arrêtés à 3 enfants ; les jumeaux, c’était la cerise sur le gâteau ! Quand on me l’a annoncé je me suis dit « Super ! Deux bébés pour le prix d’un ». J’étais vraiment contente.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer ?

Comme je l’ai dit, j’adore pouponner, mais les premiers mois sont difficiles. Du baby blues à la dépression post-partum, chaque naissance a eu son lot de nouvelles surprises ! Et bizarrement, c’est l’arrivée des jumeaux qui a été le plus simple à gérer moralement. Parce que je savais déjà à quel point le manque de sommeil te flingue, et je savais aussi qu’un jour on s’en sort. Je savais que c’était dur mais que je pouvais tenir et qu’il fallait en profiter… Tous mes enfants ont fait leurs nuits très tard, on s’est mal démerdés c’est sûr… Jules a arrêté son biberon de nuit a 2 ans et demi. Et cela finit par vous faire voir la vie en noir. Heureusement il suffit de dormir quelques heures de suite pour que le moral remonte…

Tu penses que vous vous y êtes mal pris sur le sujet du sommeil ? Tu promets dans ton livre de ne jamais culpabiliser en tant que parent, est-ce que tu ne serais pas en train de culpabiliser ?

Je ne veux pas que quelqu’un d’autre me le dise, mais moi je peux le dire, on a merdé sur le sommeil du petit dernier ! Je pense que je ne voulais peut-être pas vraiment qu’il grandisse et que je n’étais pas prête à arrêter les biberons de nuit… Un jour j’ai arrêté de me lever la nuit. À deux ans et demi il pouvait sortir seul de son lit (il ne dormait plus dans un lit à barreaux). Je lui ai dit qu’il pouvait venir s’il avait besoin de quelque chose, mais que moi, j’étais trop fatiguée pour me lever. Et il n’est finalement jamais venu me voir, car il était fatigué aussi, et le problème était réglé !

Quand le sujet de l’éducation est-il devenu une vraie question pour toi ? Et quand as-tu décidé de te tourner vers l’éducation positive ?

Je dirais que l’éducation commence dès que ton bébé met sa main dans la purée… Est-ce que tu le laisses faire ? Est-ce que tu lui dis non ? Les premières questions quant à l’éducation qu’on souhaite donner à ses enfants se posent finalement très vite. Pour Raphaël, mon aîné (11 ans), on parlait encore peu d’éducation positive et de Montessori… Le sujet est devenu à la mode pour ma deuxième. Le livre de Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, m’a beaucoup marquée. Du coup j’ai lu beaucoup de choses autour du développement cognitif des enfants, et ça m’a donné envie de reproduire certaines choses à la maison.

Qu’est-ce que tu en as tiré ?

Que ce n’est pas complètement fait pour moi, car entre un boulot prenant et 4 enfants, j’ai beaucoup de choses à faire dans une journée qui ne fait malheureusement que 24 heures. Je n’ai pas toujours le temps et l’envie de passer 10 minutes à expliquer à mon enfant pourquoi il doit mettre ses chaussures. Je suis persuadée que la méthode est la bonne mais je ne suis pas capable de l’appliquer au quotidien. Et je refuse de me sentir mauvaise mère parce que je ne le fais pas. C’est comme ça qu’est né le livre.

Quel est l’objectif de ton livre ?

Je me suis libérée il y a peu du carcan de la culpabilité. Parce que plus je me sentais coupable, plus je faisais mal avec mes enfants. Je ne me trouvais pas à la hauteur, je dépréciais l’image que j’avais de moi, il m’est arrivé de pleurer parce que je ratais une réunion parent-prof… Et puis, j’ai arrêté de me flageller, j’ai relativisé en me disant que c’était mon boulot qui permettait de les emmener en vacances, et que ne vivre que par et pour ses enfants n’avait pas de sens. Une femme n’est pas qu’une mère, et la société a parfois tendance à nous le faire oublier. Alors, j’ai commencé à l’écrire sur mon blog (quatreenfants.com). Beaucoup de mères ont réagi. J’ai pensé que je pourrais peut-être éviter dix ans de culpabilité à quelques mamans avec ce livre.

Faut-il le lire comme un essai personnel ou un vrai manuel d’éducation ?

À la base je pensais parler de mon expérience sans envisager la portée pour les autres. Aujourd’hui je reçois des centaines de messages très touchants, de mamans qui sont au bout du chemin, et qui avaient juste besoin de dire stop aux injonctions. J’aimerais que ce livre devienne un manifeste de déculpabilisation.

Quels sont les sujets sur lesquels tu as lâché prise ?

La télé. Tous les soirs mes enfants regardent un dessin animé après le dîner.
Pour les repas, je suis très flexible aussi. J’ai essayé de me mettre à cuisiner, j’ai acheté le baby cook, les livres de recettes, etc. Je ne sais pas le faire. Je n’ai jamais aimé ça ! Finalement ils préfèrent la purée mousseline à la purée maison. Tant pis. En revanche : on dîne et on déjeune à table sans télévision. Et la télé c’est après le bain et les devoirs s’il y en a. Pas de pub non plus à la maison, on choisit le programme ensemble sur Netflix. Je suis détendue sur certains sujets mais je fixe mes propres règles, et des règles il y en a autant que de parents !

Quels sont les sujets non négociables ? Sur lesquels tu es intraitable ?

Avoir fait ses devoirs pour les plus grands, et le comportement à l’école également. Je suis assez old school là-dessus. Se tenir correctement et respecter les autres. Ne pas couper la parole. Globalement, toutes les règles du bien vivre ensemble me tiennent à cœur.

Dans ton livre, tu prônes un vrai retour à l’autorité pleine et sans justification du parent : « c’est moi qui décide et je n’ai pas à te dire pourquoi c’est comme ça », c’est un point de vue que l’on entend pas ou peu, sauf de la part de nos parents ou grands-parents…

Ce n’est pas tout à fait ce que je dis. Généralement, j’explique le « pourquoi c’est comme ça ». C’est toujours mieux pour que l’enfant intègre la règle. Mais parfois je ne le fais pas. Parce que je suis à bout, agacée, en retard, et le « parce que c’est comme ça » fait office de réponse acceptable ! Plus que de retour à l’autorité qui fait quand même un peu vieille réac, je parlerais plutôt de retour à un peu d’égoïsme parental. Coucher les enfants plus tôt pour mater Netflix au calme ou refuser une sortie au square parce que vraiment l’idée de se geler devant le toboggan n’est pas envisageable aujourd’hui, pourquoi pas. Faire passer le bien-être du parent avant celui de l’enfant de temps en temps, c’est une notion qui me convient parfaitement.

Et avec le deuxième parent, quelle est la règle ?

La conciliation au fil de l’eau pour être en phase. Mais surtout, laisser faire l’autre comme il l’entend et ne pas juger sa méthode. Tout du moins jamais devant les enfants.

Qu’est-ce que tu gardes finalement de l’éducation positive ?

Comme le prône l’éducation positive, je fais tout pour leur donner énormément de confiance en eux : je leur montre que leur parole compte et que leur avis compte. Je les écoute. Je leur répète tout le temps qu’ils sont très forts, très beaux, très doués, très tout … J’écoute leurs histoires, je les pousse à continuer. Je m’intéresse à eux en tant que personnes. Ce que je garde également de l’éducation positive, c’est que je ne les punis pas non plus. En cas de grosse crise, je les envoie dans leur chambre pour qu’ils se calment tout seuls. Et ça marche !

Ce qui semble parfois le plus difficile, que l’on décide d’appliquer ta méthode ou celles de l’éducation positive, c’est le regard et le jugement des autres. C’est souvent devant nos proches que l’on fait n’importe quoi d’ailleurs… Quelle est la solution ?

La solution est d’arrêter de se juger les uns les autres ! Je pense que chaque parent sait très bien s’il fait bien ou mal, inutile d’en rajouter. Derrière la mère qui laisse son enfant dîner devant sa tablette, il y a certainement une mère fatiguée, qui veut juste un peu de calme, parce qu’elle en a besoin, parce qu’elle a eu une journée compliquée, parce que ce soir, elle n’a pas envie de lutter … Et c’est son droit le plus strict, qui peut se permettre de la juger ?
Alors plutôt que de donner un conseil à un parent qui ne l’a pas demandé, dites-lui plutôt « bravo, c’est bien ce que tu fais », c’est la seule phrase utile qu’un parent doit entendre !

L’éducation approximative, Agnès Labbé, éditions Marabout