La maternité n’est pas un concours. Ce n’est pas une performance. C’est une traversée. Une traversée durant laquelle les mères ont besoin d’être écoutées, soutenues, accompagnées. Et non jugées. C’est la conviction profonde de Marion Du B’, autrice conférencière, qui a publié sept ouvrages abordant les thèmes de la confiance en soi, du deuil, des relations toxiques, ou encore du burn-out et organise des conférences en entreprise, notamment autour de la prévention du burn out parental et la santé mentale.
Je crois que, tout comme on se retrouve complètement désemparé face à la mort pour la première fois, on l’est tout autant face à la maternité. Dans un cas comme dans l’autre, on croit pourtant savoir : on en a entendu parler, on a vu nos proches y être confrontés, on s’est documenté sur le sujet… On a reçu des témoignages, des conseils, des avertissements. On s’est forgé des idées, un tas de théories qui, pourtant, ne suffisent jamais.
Car chaque expérience est unique.
La seule vérité qui émerge, c’est celle d’une terre inconnue. Une terre sur laquelle chaque pas, aussi maladroit soit-il, nous éloigne peu à peu de tout ce que nous avions imaginé. Je pensais que ce serait une aventure à deux ; je nous voyais main dans la main avec mon conjoint, dessinant ensemble les contours de notre parentalité, réfléchissant à l’éducation que nous voulions offrir. Mais une autre vérité m’a frappée — une vérité que l’on retrouve aussi dans le deuil : ce chemin, nous le faisons seule. Et pour ma part, j’ai dû emprunter deux chemins à la fois. Je devenais mère en pleurant la mienne, disparue brutalement quelques mois plus tôt. J’ai accueilli la vie avec un trou béant dans le cœur.
Nous contre le reste du monde
Cette maternité, je l’ai vécue comme une tentative de réparation. Je voulais faire mieux, faire parfaitement. Offrir à mon fils ce que je n’avais jamais reçu. Tout donner, jusqu’à l’épuisement. Et pourtant…
Pourquoi, lorsqu’on devient mère, a-t-on cette impression que c’est nous contre le reste du monde ? Pourquoi, même en faisant de notre mieux avec les moyens du bord, se heurte-t-on à la vision des autres ? Pourquoi faut-il que ce soit au moment où l’on est le plus vulnérable, que l’on doive livrer notre plus grande bataille ? Pourquoi, à ce moment-là, les alliées se font plus rares que les reproches, les encouragements plus timides que les injonctions ?
Je voulais transmettre autre chose que ce que j’avais vécu dans mon enfance dont je ne garde pas un très bon souvenir. Être douce, patiente, attentive, disponible, aimante, présente. À force de viser la perfection, je me suis oubliée. J’ai mis mes besoins entre parenthèses. J’ai cessé de m’écouter.
Rêver de partir loin
Un jour, j’ai commencé à rêver de partir loin… juste pour me reposer, sans culpabiliser.
J’ai même rêvé d’être renversée par un bus, partir vraiment. Non pas parce que je n’aimais pas mon enfant, mais parce que je ne savais plus comment m’aimer, moi. Comment s’aimer en tant que mère quand tout le monde critique, commente, observe —nos choix, nos décisions, nos silences, nos respirations ?
Pourquoi, dès la naissance, chacun croit pouvoir donner son avis ?
Comme si notre corps, notre bébé, nos choix ne nous appartenaient plus. Les remarques pleuvent. Les conseils non sollicités s’accumulent.
On n’a rien demandé, mais tout le monde a son mot à dire, sa vérité, son “à mon époque…”.
Et peu à peu, sans qu’on s’en rende compte, nous sommes six à élever cet enfant : nous… et nos parents respectifs.
Dans ce tourbillon de paroles, de regards et de jugements à peine voilés, on se perd.
On perd ce qu’on voulait vraiment.
On perd la simplicité de ce qui nous reliait.
On perd, aussi, notre couple.
Les loyautés familiales se réveillent.
Ce qui semble être une décision banale — allaitement ou biberon, cododo ou lit séparé — devient une confrontation de visions du monde. Deux héritages. Deux éducations. Deux histoires. On voulait être unis. On devient arbitres de conflits entre clans. On voulait fonder un cocon. On se retrouve à gérer un champ de tensions invisibles.
Je dors peu. Je doute de tout. Je m’épuise à essayer de bien faire, à protéger ce que je crois juste, à défendre mon rôle, mes droits, mes choix. Je m’oublie derrière les phrases toutes faites : “ Ta mère n’aimerait pas te voir comme ça ”, “ Sois forte ”.
Épuisée, vulnérable, en quête de douceur, je dois me battre pour faire entendre ma voix. À chaque remarque, chaque comparaison, je me referme un peu plus. Et en moi, un brasier s’anime. Les ressentiments grandissent.
Contre ce conjoint qui, tantôt regarde ailleurs, tantôt minimise, tantôt se positionne du mauvais côté. Je me sens trahie. Incomprise. Et j’ai de plus en plus de mal à serrer les dents.
Je voulais être une bonne mère. Une femme forte. Une compagne aimante. Mais comment tenir debout quand il faut sans cesse justifier son existence ? Petit à petit, l’idée a commencé à germer en moi :
Et si finalement mon fils se portait mieux sans moi ?
Et si disparaître était la seule façon de me reposer ?
Je ne voulais pas mourir ; je voulais que la douleur s’arrête. Que les injonctions cessent. Que le vacarme intérieur se taise.
C’était soit ça… soit demander de l’aide.
J’ai fini par être admise aux urgences psychiatriques.
Parce qu’il fallait que ça s’arrête. Parce que je n’en pouvais plus.
Parce qu’il ne restait plus d’autre solution que celle-là.
Burn-out parental
J’ai mis du temps à entendre le premier professionnel de santé poser ce mot sur mon vécu. Et encore plus à l’accepter. Parce que ce mot dérange. Il égratigne l’image de la mère dévouée, inépuisable, heureuse par nature.
Ce qui m’a aidée ? Pas les grandes théories. Pas les injonctions. Mais des choses simples.
Une amie qui m’a dit : “Tu as le droit de ne pas y arriver.”
Un moment seule, sans culpabilité.
Un silence respecté.
Une larme accueillie.
Une main sur l’épaule pour me féliciter et reconnaitre la mère que j’étais devenue.
Et surtout : la permission.
La permission de ne pas être parfaite.
La permission de dire : “J’ai besoin d’aide.” La permission d’exister en tant que femme, pas seulement en tant que mère.
Aujourd’hui, je n’ai pas de recette miracle, mais j’ai une voix. Et je veux l’utiliser pour dire ceci :
Tu n’es pas seule.
Tu as le droit d’être fatiguée.
Tu as le droit de poser des limites.
Tu as le droit d’exister, toi aussi.
Tu as le droit de t’aimer.
Parce que la maternité ne devrait pas être un sacrifice.
C’est une traversée.
Et dans cette traversée, personne ne devrait avoir à s’oublier pour exister. Ce que j’ai vécu, c’est le quotidien de milliers de femmes. Des femmes qu’on ne regarde pas. Ou qu’on regarde de travers. Des femmes qu’on juge sans connaître. Des femmes qu’on bouscule, qu’on infantilise, qu’on corrige à coups de conseils déguisés, de remarques toxiques, de silences pesants.
Cette violence-là, elle est partout. Comme si nos choix, notre corps, nos envies n’étaient pas légitimes. Chaque fois, c’est un peu de nous qu’on éteint. Un peu de notre confiance qu’on piétine. Un peu de notre identité qu’on efface.
C’estinsupportable. Insupportable que la maternité, cet espace sacré et vulnérable, devienne un terrain de combats où chacun croit pouvoir imposer sa loi. Insupportable que l’on doive se battre pour exister. Pour être crues. Pour être soutenues.
Il est temps qu’on écoute vraiment les mères. Il est temps qu’on les soutienne sans les surveiller. Qu’on les aime sans les corriger. Qu’on les respecte sans les réduire. Parce que la maternité n’est pas un concours. Ce n’est pas une performance. C’est une traversée. Et dans cette traversée, chaque femme mérite d’être portée, entourée, protégée.
Et non jugée.

Retrouvez Marion du B’ sur son site www.mariondub.fr et son compte Instagram
Crédit photo : Laura Boil Photography