Travail et maternité : et si on arrêtait de culpabiliser ?

Est-ce que travailler et être mère est obligatoirement synonyme de culpabilité, de tiraillement ou d’épuisement ? Comment font celles qui jonglent sereinement entre leur job, leur famille et surtout le temps qu’elles s’accordent pour prendre soin d’elles ? Depuis 2 ans, dans son podcast Les Équilibristes, Sandra Fillaudeau questionne les notions d’ambition, de réussite, de conciliation entre carrière et maternité et d’intégration des différentes facettes de notre vie en rencontrant des femmes brillantes qui partagent leurs solutions pour trouver l’équilibre. Entretien.

Sandra_Fillaudeau

Depuis 2 ans tu rencontres et interviewes des femmes (et quelques hommes) équilibristes : pourquoi les as-tu appelés ainsi et as-tu donné ce nom à ton podcast ?

L’idée de ce podcast est née de ma propre difficulté à trouver l’équilibre après la naissance de mon fils en 2014. Je démarrais un nouveau poste à responsabilités, et j’avais vraiment envie de ces nouveaux challenges, de ces déplacements au bout du monde, de cette équipe à manager. Et en même temps, j’avais envie de passer du temps avec mon bébé, de profiter de lui et de mon nouveau rôle de mère, ce qui était difficilement conciliable avec les exigences de mon job. Je me suis retrouvée très seule face à cette situation, je me suis épuisée, je n’avais plus aucun temps pour moi et je me suis littéralement desséchée. J’ai commencé à chercher des ressources, des exemples de parcours de femmes inspirants, j’avais besoin qu’on me dise que c’était possible ! 

Je voyais autour de moi mes amies qui me semblaient toutes gérer avec beaucoup de grâce, d’humour et de flexibilité leur quotidien, et j’avais envie d’en dresser le portrait, de mettre en avant des exemples de ces équilibristes, pour inspirer et donner confiance. C’est comme ça qu’est né le podcast les équilibristes, avec cette notion d’équilibre qui pour moi est au cœur de tout et la volonté de mettre en avant des femmes comme nous toutes, avec des parcours brillants mais à qui on donne rarement la parole dans les médias.

Tu n’utilises jamais l’expression « équilibre vie pro-vie perso » qu’on a pourtant beaucoup entendue …

Je n’aime pas cette notion d’équilibre entre vie pro et vie perso que je trouve ringarde. Je préfère parler d’intégration : être un équilibriste c’est avoir la volonté d’intégrer tout, son ambition professionnelle, son ambition personnelle et tout le reste qui rend la vie riche !

L’ambition est donc au cœur de tout ?

Oui, je pense que cette notion d’ambition est essentielle : je me suis toujours considérée comme ambitieuse et j’ai trouvé ça difficilement compatible avec ma maternité, je n’arrivais plus à me définir et à définir mes ambitions. Aujourd’hui j’ai compris qu’être ambitieuse c’est d’abord définir sa propre version de l’ambition, identifier ce qui est essentiel pour soi et comment l’accomplir. Tout en sachant que c’est ré-ajustable, que ce qui est valable aujourd’hui peut ne pas l’être plus tard et ce n’est pas grave, au contraire ! Les priorités changent, il faut savoir être souple. C’est d’ailleurs cette souplesse qui est au cœur de mon activité aujourd’hui (j’accompagne les entreprises sur les sujets d’adaptabilité du travail). L’équilibre n’est pas quelque chose de figé, c’est un état de réajustement permanent, il y a une notion de recherche, de mouvement, de cheminement et d’évolution.

Comment on le trouve justement cet équilibre ?

Il n’y a pas de recette miracle évidemment, mais je crois que la vraie solution c’est d’apprendre à s’écouter, ce qui est tout sauf simple. Il faut être au clair sur ce dont on a besoin et ajuster en permanence en fonction : définir ce qu’est l’ambition pour soi, mais aussi la réussite, savoir ce qui nous réjouit, nous fait du bien… J’ai pris l’habitude de me demander si j’ai passé une bonne semaine, je fais un petit bilan et si je trouve qu’un des domaines de ma vie a pris trop de place sur un autre, je me demande comment agir pour réajuster l’équilibre la semaine suivante. J’aime cette idée qu’on n’a que trois paniers par semaine et que dans chacun on range l’une de nos priorités : si toutes ne rentrent pas, alors on les reporte dans les paniers de la semaine suivante. On est dans un ajustement permanent, une écoute de ses ressentis et besoins. Cette attention à soi n’est pas naturelle, il faut être très intentionnel avec son temps et la façon dont on l’utilise. Parce que les journées ne font que 24 heures, donc il faut choisir avec intention ce qu’on fait. Il est tout aussi important de se dire qu’on n’est pas seule dans l’équation, qu’il faut être capable de dire quand on a besoin d’aide, de support, ou d’une plus grande implication de son partenaire par exemple. L’équilibre, c’est tout sauf un mouvement solitaire, c’est aussi savoir trouver ses appuis, accepter qu’on n’y arrivera pas seule.

Mais prioriser, c’est aussi renoncer. C’est difficile parfois à accepter, surtout quand on évolue dans une société qui nous dit qu’on peut tout avoir…

Je trouve l’expression « to have it all » très dangereuse : elle s’est transformée en injonction à tout faire. Or tout ne rentre pas dans une journée de 24 heures, et ce n’est pas très grave. Plutôt que de me dire « je manque de temps pour tout », je préfère me dire « j’ai largement assez de temps pour faire ce qui est important aujourd’hui ».

On a quand même toutes cette petite voix qui nous accompagne tout le temps, qui nous dit qu’on pourrait être une meilleure mère, une meilleure professionnelle, comme si la culpabilité faisait partie du lot.

Oui, j’ai l’impression que c’est le cadeau de maternité auquel on n’échappe pas, que toutes les femmes ressentent cette culpabilité en devenant mères ! Comment s’en débarrasser ? J’ai tiré quelques pistes au fil des rencontres :

1/ Regarder sa culpabilité, et se demander si elle vient de l’extérieur ou de l’intérieur. Elle peut en effet être le signe d’une crainte du regard extérieur (je culpabilise parce que je suis la seule à venir chercher mes enfants à 18h30 à la sortie de l’école) mais elle est souvent le signe qu’on ne s’écoute pas assez : je culpabilise parce que je ne suis pas allée chercher mes enfants à l’école cette semaine, et je comprends que ce ressenti est provoqué par mon envie de passer du temps avec eux. Dans ce cas, regarder et comprendre pourquoi on culpabilise permet de réajuster, de faire preuve de souplesse : en l’occurrence sur cet exemple, décider de plus voir mes enfants la semaine suivante.

2/ Parfois ce qu’on ressent n’est pas de la culpabilité, mais c’est uniquement lié au fait que son comportement n’est pas conforme à ses envies ou projections. C’est ce décalage qui crée un sentiment d’inconfort, à ne pas confondre avec la culpabilité.

3/ Il faut accepter de faire des choix, assumer les conséquences de ses choix, et y voir ce qui est positif plutôt que le négatif. Je choisis d’aller chercher mes enfants plus tard à l’école, parce que j’ai un gros dossier à finir cette semaine. Cela permet à mes enfants de passer plus de temps avec leurs amis au centre de loisirs et c’est aussi bien pour eux ! La culpabilité est souvent inutile, elle pollue nos pensées et nous empêche d’assumer nos choix, qui sont pourtant justifiés.

4/ En parler ! Savoir qu’on n’est pas la seule à culpabiliser, cela permet de relativiser.

Quid des hommes ? Il n’y a que les femmes et les mères qui culpabilisent ?

Je ne pense pas, mais je pense que les hommes ne le vivent pas comme de la culpabilité, mais seulement comme le ressenti d’un décalage entre ce qu’ils auraient envie de faire et ce qu’ils ont vraiment fait (par exemple : passer une soirée en famille versus rester au bureau tard pour boucler un dossier). C’est une perception qui donne le pouvoir d’agir : on se dit alors « j’aurais préféré faire ça, je vais donc faire ça la prochaine fois » plutôt que « je culpabilise d’avoir fait ça ». Cette perception rend acteur, permet de comprendre qu’on a toujours le choix, alors que la culpabilité empêche.

Le meilleur conseil qu’on t’aie donné pour être une bonne équilibriste ?

Ce qui ressort beaucoup, c’est prendre soin de soi. Ne pas renoncer à ce qui est important pour la femme qu’on est. C’est vraiment ça ma boussole. Je réajuste quand je sens que je me suis oubliée : j’enlève des rendez-vous, je décale des choses, je re-priorise le sport. J’ai identifié maintenant ce dont j’ai besoin dans ces moments-là et quand j’en manque, je le remets dans le top de mes priorités. C’est la notion de masque à oxygène, à dégainer dès qu’on en sent le besoin !

Quels épisodes de ton podcast tu nous recommandes ?

Il y a le tien évidemment : https://www.lesequilibristes.com/podcast/2020/7/29/marion-roucheux-tre-sur-le-fil-et-se-relever-dun-burnout-maternel

Pauline Butor : maman de 3 jeunes enfants, Head of YouTube chez Google, qui partage avec beaucoup de simplicité et de finesse les tips qui lui permettent d’avancer dans sa carrière, de combattre son syndrome de l’imposteur, de prendre du temps pour elle. https://www.lesequilibristes.com/podcast/2020/5/27/pauline-butor-ce-qui-change-tout

L’épisode avec Dr Aurélia Schneider, un des plus écoutés et commentés. Il a l’air d’en avoir aidé plus d’une, et son livre est formidable : https://www.lesequilibristes.com/podcast/2019/10/8/dr-aurlia-schneider-allger-sa-charge-mentale

L’épisode avec Patrice Bonfy, dont l’approche et l’humour sont formidables – un militant de la première heure pour l’allongement du congé paternité et une autre représentation des pères : https://www.lesequilibristes.com/podcast/2019/7/23/patrice-bonfy-sortir-les-peres-des-stereotypes

L’épisode avec Coline Vuillermet, COO d’Unicrédit, dont l’approche mêlant bienveillance et exigence m’enthousiasme beaucoup : https://www.lesequilibristes.com/podcast/2019/7/9/coline-vuillermet-la-flexibilit-est-la-cl

On a pas mal parlé de flexibilité du travail, c’était très intéressant.

Et le dernier, avec Marie Robert, avec qui on a philosophé sur les questions des Equilibristes – j’ai eu énormément de retours positifs, la pensée et le discours de Marie sont de vrais cadeaux :

https://www.lesequilibristes.com/podcast/2020/10/14/marie-robert-penser-sa-vie-dquilibriste-et-vivre-sa-pense

 

Crédit photo : BellyBalloonPhotography x Les Louves