Premiers repas : comment ne pas en faire tout un plat ?

Tous les mois, Emmanuelle Opezzo, auteure de Vivre la pensée Montessori à la maison et fondatrice des Ateliers Koko Cabane à Paris, répond aux questions des lectrices des Louves. Ce mois-ci, on se penche sur les premiers repas : pourquoi se transforment-ils souvent en moment de conflit ? Comment en faire un vrai moment de partage ? Comment réagir si notre bébé ne veut pas manger ce qu’on lui a préparé ?

Les premiers repères du bien-être du bébé sont médicaux et se mesurent : taille, poids, quantités… Dès le suivi de grossesse, puis à la maternité, on sensibilise les mères sur le développement physiologique du bébé bien plus que sur son développement psycho-affectif : sentiment de sécurité intérieure et sentiment de confiance, lesquels sont rendus possibles par le maternage et la création du lien d’attachement. C’est une manie occidentale : un bébé qui se porte bien, c’est un bébé potelé qui mange “bien”. L’entourage inquiète les mères – les culpabilise parfois – avec la prise de lait (au sein ou au biberon) et les courbes de croissance ; on nous met en garde dès que le bébé perd un peu de poids ou tarde à en prendre.Avec la diversification alimentaire, cette idée fixe se prolonge et on guette le comportement de son bébé face à la nourriture solide.

Le repas revêt une dimension symbolique pour le bébé qui commence à goûter le monde, à s’ouvrir vers l’extérieur et prendre place au sein de la famille, à table. Alors, certes, un bébé qui va bien est un bébé qui mange avec appétit, et l’on peut détecter une baisse de forme si l’on constate qu’il a moins faim qu’habituellement. Toutefois, un enfant a besoin d’éléments variés pour se développer.

Les sources vitales de nourriture

Au début de sa vie, un enfant se nourrit principalement de l’attention et de l’affection qu’on lui porte, il se nourrit du lien d’attachement avec ses parents. Un enfant se nourrit également des stimuli de son environnement qui vont activer le développement de ses sens et sa curiosité pour le monde qui l’entoure. En grandissant un enfant se nourrit intellectuellement, physiquement et socialement. Il est important de mettre en perspective les différents éléments dont se nourrit un enfant pour se développer globalement et de ne pas s’en tenir exclusivement aux repas et à la croissance physiologique, cela permet de relativiser. Variez ses activités, alimentez ses points d’intérêt, enrichissez ses relations aux autres… tout cela nourrit autant un enfant qu’un bon repas.

Quelles sont les quantités nécessaires ?

Qu’il s’agisse de lait ou de nourriture solide, nous avons tendance à surestimer la quantité nécessaire à la satiété d’un enfant, et nous souffrons encore de “la peur du manque”. Si bien que nous préférons donner plus que nécessaire. Il faut savoir que dès la naissance, un bébé est en mesure de s’auto-réguler et d’apprendre à reconnaître la faim et  la satiété. Observer le comportement de son enfant pour apprendre à distinguer ses besoins est un facteur important pour tisser un lien de confiance et lui laisser de l’autonomie pour se nourrir.

Un temps social fort

Se réunir autour d’un bon repas et passer un temps agréable en famille ou entre amis pour échanger, est une habitude à laquelle il est possible de convier son enfant dès qu’il est en mesure de rester assis (même si ce n’est que pour 15 minutes). Lui accorder une place bien à lui à table participe à la construction de son sentiment d’appartenance, cela est sécurisant, et étoffe l’estime de soi. En laissant un enfant manger seul alors que le reste de la famille n’est pas à table, il est possible qu’il ait plus de mal à rester assis, à se concentrer sur son assiette et à vouloir manger. Si vous n’avez pas d’autre choix que de le faire manger seul avant vous, faites en sorte d’avoir un environnement calme, sans stimulations extérieures, et restez avec lui pour l’accompagner.

29_RepasMontessori

Un temps d’apprentissages important

Participer aux échanges de la famille durant le repas favorise pour le jeune enfant le développement du langage et l’enrichissement de son vocabulaire, la compréhension des codes de politesse, et le plaisir d’écouter ou d’être écouté.

Un temps d’affinement sensoriel

L’acte de manger sollicite tous les sens de l’enfant : le goût bien sûr, mais aussi l’odorat, la vue, le toucher et l’ouïe. Il est possible de mettre à profit ce moment et d’envisager le repas comme une activité de développement sensoriel en lui laissant autant d’autonomie que possible. Il faut arriver pour cela à se détacher de la quantité que nous attendons qu’il absorbe ou encore de la propreté.
Sur le plan moteur, de nombreux apprentissages se jouent : la mastication, la coordination œil/main/bouche, la motricité (la tenue de la cuillère, de la fourchette, puis du couteau et du verre d’eau). Au départ, cela vous paraîtra peut être un peu chaotique, mais persévérez car très vite votre enfant disposera d’une grande dextérité qui vous étonnera. Si la tenue de la cuillère ou de la fourchette pose problème, manger avec ses doigts est une alternative excellente pour affiner l’adresse des mains, c’est aussi très ludique pour les jeunes enfants. Il est donc dommage de vouloir absolument donner à manger à la cuillère en laissant son bébé être passif face à notre volonté, avec pour seules actions d’ouvrir, fermer la bouche et avaler.

La Diversification Menée par l’Enfant (DME)

C’est pourquoi la DME est un excellent moyen de mettre en place les bonnes pratiques très tôt avec son bébé. Pour ma part, j’ai pratiqué la DME avec mes enfants de manière très instinctive, sans m’en remettre à une méthode spécifique. J’ai commencé la diversification alimentaire par les purées et compotes traditionnelles vers 4-5 mois, puis une fois les aliments principaux intégrés, j’ai cessé de les mouliner pour les présenter en morceaux dans l’assiette. Si l’on est sensible à la propreté, les débuts peuvent être un peu difficiles pour soi, néanmoins, très vite le bébé coordonne ses gestes, observe son assiette, choisit, trie, goûte, exclue. Cela requiert d’avoir du temps devant soi car le bébé prend son temps, il explore ; son rythme diffère beaucoup du nôtre. Certains bébés sont moins attirés par la nourriture solide que d’autres et préfèrent prolonger le temps du sein ou du biberon. Présentez-lui régulièrement de jolies assiettes mais n’insistez pas s’il n’est pas intéressé, cela viendra un peu plus tard.

À quel moment arrêter le repas ?

Il n’est pas nécessaire de finir son assiette. Combien d’entre nous ont souffert de cette exigence de la part de nos parents? Cela va même à l’encontre de la connaissance de soi : être en mesure de reconnaître ses besoins (la faim, la soif, la satiété) est une qualité que nous n’apprenons pas suffisamment à développer. En observant bien son enfant, les signes de satiété apparaissent à partir du moment où il cesse de choisir ses aliments et commence à jouer avec. Il est alors préférable de prendre la décision de terminer le repas et d’ôter son assiette car il y a fort à parier que les aliments vont atterrir sur la table ou le sol plutôt que dans l’estomac.

Faire du repas un moment agréable

Les parents doivent faire en sorte que l’expérience des repas reste agréable pour leur enfant et ne cristallise pas de conflit. Si à chaque repas nous bataillons pour que notre enfant mange tout, vite, bien, termine son plat, et le tout sans salir, il est certain que des conflits vont apparaître. Si de manière systématique un conflit s’installe, la probabilité que son enfant se bloque face à la nourriture est forte. Toutes les conditions ne répondent peut-être pas à vos attentes aujourd’hui, mais sachez que les codes se mettront en place petit à petit, plus facilement encore en lâchant prise qu’en se figeant sur des principes. Si votre enfant refuse un aliment ou un repas, n’insistez pas trop longtempset ne vous inquiétez pas non plus. Il arrive, selon sa fatigue ou son humeur, que mon fils de 2 ans ne veuille pas manger comme nous le dîner et qu’il réclame un biberon de lait à la place. Je lui donne son biberon de lait qui le sécurise et le nourrit sans insister ; le soir suivant, il dîne de bon appétit.

Conseils en vrac

  • Etre à table tous ensemble dès que le bébé peut se tenir assis (environ 6 mois)
  • Manger tous la même chose
  • Cuisiner ensemble
  • S’amuser à deviner les ingrédients des plats
  • Eviter les conflits à table et mettre en place des petits jeux qui motivent à goûter
  • Laisser de l’autonomie à son enfant pour manger, il doit être acteur de son repas
  • Faire du repas une expérience sensorielle agréable: choisir, toucher, goûter, prendre son temps
  • Lâcher les attentes et les inquiétudes

Diplômée de l’AMI (Association Montessori Internationale), Emmanuelle Opezzo est l’auteure du livre Vivre la pensée Montessori à la maison, ed.Marabout et fondatrice des ateliers Koko Cabane à Paris.