Carrière, passions, ambition : peut-on être mère et tout concilier ?

C’est la grande question : à quoi doit-on renoncer en devenant mère ? Peut-on concilier une carrière passionnante, une vie de famille et avoir du temps pour se réaliser et s’épanouir en dehors de son rôle de mère et de professionnelle accomplie ? Grand entretien avec Jenny Chammas, coach spécifiée, spécialisée dans l’accompagnement des femmes.

On a l’impression que tous nos projets doivent se réaliser en même temps, à cet âge où on a des enfants en bas âge et où notre carrière devient souvent plus riche et intéressante. Comment ne pas se sentir débordée quand nos journées ne durent que 24h ?

Avant tout, je sais que ça paraît évident, mais beaucoup ont besoin de l’entendre : pour ne pas se sentir débordée, il faut s’organiser et planifier. Quand on a un enfant et une carrière il y a un aspect logistique qu’on ne peut pas négliger. Plus on s’organise et plus on planifie, plus on gagne du temps et plus on réduit sa charge mentale. 

Ensuite, ce n’est pas forcément agréable à entendre, mais on est obligée de faire des choix. Ça ne veut pas forcément dire renoncer entièrement, mais il faut prioriser : certaines décideront de ne pas ralentir côté carrière et pour ce faire, délégueront les aspects famille ou les partageront. D’autres choisiront de mettre la priorité sur leurs enfants et accepteront que le travail passe au second plan. Dans les deux cas, il n’y a pas de meilleur choix, et il faut garder en tête qu’on n’abandonne pas l’un des pans de sa vie : on accepte simplement d’avoir moins d’attentes un temps donné.

Et pour ne pas se sentir débordée, dès qu’on le peut je conseille de déléguer au maximum. Même si on a l’impression d’être juste en termes de budget, on peut prioriser ses dépenses et préférer déléguer le ménage, les baby sitting, les sorties d’école ou emmener au pressing une robe fragile plutôt que de la laver à la main : ce sont autant d’occasions de s’octroyer des espaces de respiration.

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Et si on ne veut pas faire de choix ? Ou qu’on ne sait pas comment choisir ?

Si on ne fait pas de choix, on subit : si on veut être la mère parfaite tout en étant la professionnelle parfaite, on risque de s’épuiser. On doit accepter l’idée qu’on ne peut pas tout faire. Et d’ailleurs ce n’est pas un vrai idéal de tout faire : je pense qu’on se sent bien quand on vit au présent, quand on prend le temps de faire les choses, qu’on arrive à se réjouir d’un moment. Je suis convaincue que le bonheur ce n’est pas de cocher toutes les cases.

Le jour où l’on comprend qu’on a le choix, tout se débloque. Quand on assume ses choix, on est forcément plus détendue, moins débordée et cela a un impact positif sur notre entourage, qui est plus serein également par ricochet. Personnellement, le jour où j’ai accepté de me dire que ma priorité pour les prochains mois c’était ma carrière, je n’ai jamais passé d’aussi bons moments avec mon fils, libérée du poids de la culpabilité.

On doit se poser régulièrement la question : c’est quoi ma priorité du moment ? Quitte à en changer tous les mois ! Et il faut ensuite assumer ses réponses et les conséquences, en gardant en tête que faire un choix ne détermine pas du reste de notre vie : on peut faire un choix différent plus tard, c’est ça un chemin de vie, c’est mouvant.

On subit aussi le poids des injonctions, notamment celui de la mère parfaite…

Être une super maman ne veut pas dire passer beaucoup de temps avec ses enfants, rentrer tôt, faire des goûters maison, ne pas s’énerver, être disponible à plein temps et à l’écoute… Tout ça c’est une interprétation de ce que doit être une super maman. Alors qu’une bonne mère c’est simplement une maman qui est elle-même et qui aime ses enfants. Il faut se délester des injonctions et savoir ce qui est vraiment important pour soi, et pas pour les autres.

Comment ne pas avoir l’impression d’être dans le sacrifice dès que l’on accorde plus de temps à son travail ou à ses enfants ? Une lectrice nous raconte culpabiliser parce qu’elle met son fils à la crèche à la fin de son congé parental : elle est à la fois très heureuse de retrouver son travail, mais a aussi l’impression de sacrifier son fils à son propre bien-être.

C’est vraiment une question d’état d’esprit. Pourquoi penser se sacrifier quand on fait des choix ? Cette femme doit se demander en quoi le choix qu’elle fait est bien pour elle mais aussi pour son fils. On trouve toujours en nous des raisons de ne pas faire les choses et de penser que ce serait mieux autrement. Il faut savoir aller contre cette peur, en réfléchissant aux opportunités que nous offre notre choix : dans chaque situation il y a des bénéfices et des contraintes. Pour ne pas se sentir coupable, on peut s’exercer à voir ce qu’il y a de bénéfique. Il n’y a pas d’autre technique, c’est un état d’esprit. Il n’y a jamais rien d’idéal en vrai ! La vie c’est 50/50.

Comment ne pas s’épuiser ? Comment assurer mentalement et physiquement quand on gère à la fois une carrière, notre vie de famille, mais qu’on a aussi des envies, des passions… ?

Il faut se ménager vraiment du temps pour soi, écouter ce que notre corps nous dit et s’arrêter quand c’est trop. Ça peut être arrêter quelques heures. Arrêter un jour. Faire une plus longue pause si nécessaire. Savoir dire : « aujourd’hui je pars à 16h parce que je n’y arrive pas ».

Il faut accepter aussi de demander de l’aide : à la maison si on se sent débordée, au travail si on manque d’effectifs, en déléguant si on peut se le permettre.

Souvent quand on veut tout faire on est aussi dans une quête du perfectionnisme : il faut accepter de ne pas faire quelque chose de parfait mais de faire juste ce dont on a besoin.

Si on s’autorisait ces choses toutes simples quand on en a vraiment besoin, ça permettrait de décompresser et d’éviter l’épuisement.

Mais en pratique, c’est souvent quand on est déjà épuisée qu’on en prend conscience. Comment ne pas attendre qu’il soit trop tard pour réagir ?

Il faut prévenir l’épuisement en décidant que chaque semaine on prend du temps pour soi. Ce sont souvent ces plages-là qui sautent en premier : on va annuler notre heure de décompression pour caler un rendez-vous chez le médecin pour les enfants, faire des courses, travailler sur un dossier compliqué…

Pour préserver ces moments, il faut en reconnaître l’importance. C’est essentiel, vraiment. Si on veut être une super woman il faut pouvoir recharger les batteries. Un sportif qui gagne une course aux Jeux Olympiques a eu une hygiène de vie irréprochable pendant des mois ! Et bien c’est pareil pour nous ! Si on se met en tête qu’on veut courir un marathon, il y a des règles d’hygiène de vie que l’on doit respecter, notamment se coucher tôt et prendre du temps pour soi. Ce n’est pas naturel, on a souvent du mal à l’accepter, c’est même inconfortable au début de s’octroyer des moments de rien, de repos ou de détente : on pense qu’on pourrait faire quelque chose de plus productif (« je devrais être en train de bosser, je m’ennuie, à quoi ça sert »), ou ne pas dépenser d’argent pour soi. Mais cet inconfort ne doit pas être un frein : prendre soin de soi c’est essentiel, vraiment, il faut apprendre à le faire et l’intégrer à son emploi du temps.

C’est compliqué parfois en pratique de faire comprendre ce besoin à son partenaire …

Mon conseil est de communiquer ! Cela permet de créer un échange : si on exprime ses besoins, que l’on s’entraide, chacun y trouve son compte. On crée une équipe avec son partenaire, on se soutient. Il faut accepter d’être vulnérable, de se sentir vulnérable et de montrer sa vulnérabilité à son partenaire. 

Et quid de l’idée de se réaliser ? De nos désirs plus profonds ? Où trouver le temps et l’énergie pour se nourrir, pour devenir qui on est au-delà de la maman, de la professionnelle, de l’amante, de l’amie…

Je pense que c’est une jauge à mettre en place. Si je réserve dans mon agenda des moments pour moi, par exemple pour dessiner si c’est ma passion, écrire ou encore faire du cheval si c’est essentiel à mon équilibre, je dois me poser avant tout cette question : vais-je me sentir énergisée ou épuisée ? En fonction de la réponse – et intuitivement on sait-, on ajuste. Si on sent que ça va nous épuiser, on peut décaler dans le temps. On peut aussi viser petit pour commencer :  se réserver une heure par semaine pour aller à un cours de dessin ou un atelier d’écriture. Ou même une heure par semaine pour faire ses esquisses ou écrire ses textes chez soi. Tout le monde peut la trouver cette heure. L’idée étant qu’au lieu d’envisager l’option parfaite, on se demander par quoi on peut commencer si on ressent le besoin d’intégrer cette activité à sa vie.

En revanche si je suis épuisée, alors je réfléchis avant à comment faire pour être moins fatiguée avant d’introduire cette nouvelle activité. La meilleure chose que l’on puisse faire c’est prendre soin de soi dans un premier temps.

Mais on peut vite avoir un sentiment de frustration immense non ? En donnant notre temps et notre énergie à nos enfants et à notre travail, on peut avoir la sensation de sacrifier nos envies et nos passions et de ne pas pouvoir explorer ce qui nous anime vraiment.

Je n’ai qu’un mot : c’est la résilience. Il faut accepter que même en travaillant beaucoup, même en déléguant beaucoup, il y a certaines responsabilités dont on ne peut pas se libérer. Et que parfois, notamment quand les enfants sont plus jeunes, on ne pourra pas faire tout ce qu’on aurait envie de faire. Je repense à ces matinées où j’aurais rêvé de lire Le Monde Diplomatique plutôt que T’Choupi ! La seule solution à cette frustration : c’est la résilience. Ce qui m’a permis personnellement de la travailler, c’est d’être capable de reconnaître que parmi tous ces moments que je passais avec mes enfants en bas âge il y avait de belles choses à retenir. Il faut voir le positif. Se rappeler pourquoi on a fait ce choix de fonder une famille. Pourquoi on aime nos enfants. Et s’attarder là-dessus, sur ce qui se passe dans le présent et qui nous plaît : c’est ce qui peut nous réconcilier avec ce choix, et pallier la frustration de ne pas être en train de faire autre chose qui nous nourrirait davantage. 

Certaines apprennent à mieux se connaître à la trentaine (ou à la quarantaine), définissent mieux leurs envies, leurs besoins. Cela semble parfois incompatible avec la maternité, c’est parfois difficile d’être une maman, mais aussi une femme, qui a des ambitions, des rêves : comment faire coexister toutes ces facettes de soi sans imploser ?

Tu soulèves cette question de la crise d’identité que je rencontre chez beaucoup des femmes que j’accompagne en coaching. C’est une crise qui vient un peu après la toute petite enfance : si j’enlève mes enfants qu’est-ce qui me reste ? Mon job ? Et avec mon mec qu’est-ce qui me reste ? D’où l’intérêt de cultiver le temps pour soi, de s’ennuyer, de cultiver le rien, ce sont autant de moments qui permettent de cultiver l’espace pour cette réflexion.


Retrouvez Jenny Chammas sur son site, son compte Instagram et également dans son podcast Femme Ambitieuse.