Charge mentale maternelle et culpabilité : entre vécu et outils pour s’alléger

Comment alléger ce fardeau invisible mais bien réel qu’est la charge mentale qui pèse sur tant de femmes et de mères ? Entre le flux incessant des pensées liées à l’organisation familiale et la culpabilité qui accompagne souvent le rôle maternel, cette charge mentale reste un défi quotidien. Psychopraticienne spécialisée dans les relations parents-enfants, Pascaline Thilloy propose des pistes concrètes pour partager ce poids, retrouver de la légèreté et cultiver une parentalité plus authentique.

Il y a quelques semaines, je suis partie en week-end en amoureux. Deux jours de vraie déconnexion, loin du quotidien, des plannings des repas, des lessives et des courses à faire. C’est simple : je me sentais légère et pleinement présente. Comme si mon cerveau avait enfin relâché cette pression constante. Mais à peine passée la porte de la maison, les pensées ont resurgi en rafale : “Il va falloir faire les courses… Préparer les repas demain… Et la rentrée de mon fils, est-ce que tout est prêt ?”

Le contraste était frappant. En quelques minutes à peine, je retrouvais ce fameux flux incessant de pensées, d’anticipations et de tâches invisibles qu’on appelle la charge mentale. Ce concept, c’est la sociologue française Monique Haicault qui l’a théorisé dès 1984. Il a ensuite été popularisé, notamment grâce à la célèbre bande dessinée d’Emma, qui a contribué à rendre visible ce fardeau pour des millions de personnes. En y repensant, je me suis dit : même lorsque l’on connaît les mécanismes et que l’on a des outils, on n’y échappe pas totalement. Parce que la charge mentale, c’est un peu comme un brouhaha de fond : on peut l’apaiser, l’alléger, mais elle fait partie intégrante de nos vies de femmes, de mères, de partenaires.

1. La charge mentale, ce travail invisible

En gros, la charge mentale, ce n’est pas seulement ce qu’on fait, c’est tout ce à quoi on pense. Ce sont ces dizaines de petites alertes qui s’allument dans la tête : du “qu’est-ce qu’on mange ce soir ?” à “il faut penser à racheter du dentifrice”, en passant par “est-ce que les baskets de sport sont propres pour demain ?”. C’est l’agenda de la famille, le budget à tenir, les rendez-vous médicaux, la date d’anniversaire à ne pas oublier.

C’est un travail invisible, parce qu’il n’apparaît pas sur un planning, qu’il ne se mesure pas en heures, mais qu’il use énormément. On ne s’assoit pas forcément à la fin de la journée en se disant : “j’ai fait ça, ça et ça”. Mais le cerveau, lui, n’a pas arrêté de tourner.

2. La culpabilité maternelle

Cette charge mentale s’accompagne souvent d’un sentiment de culpabilité. La société nous impose des injonctions paradoxales : être une “mère parfaite” tout en restant épanouie, être professionnelle mais disponible.

Du coup, quand on n’arrive pas à tout faire, la culpabilité prend le dessus. On se sent coupable de ne pas avoir fait d’activités avec les enfants. Coupable d’avoir crié. D’avoir lâché prise sur certaines règles. Coupable de prendre du temps pour soi. On a l’impression d’avoir failli.

Une autre culpabilité est encore plus dure : celle de ne pas être assez présente. On est tiraillée entre son travail et ses enfants. On se sent coupable de laisser son enfant tard à la garderie, de rater une réunion d’école. On doute de tous nos choix, surtout après avoir vu l’image de la maman parfaite sur les réseaux sociaux. C’est un combat constant entre ce que l’on voudrait être et ce que l’on peut être.

3. Pourquoi la charge mentale pèse autant

Elle est lourde parce qu’elle s’ajoute à tout le reste. Au travail, aux obligations sociales, aux projets personnels. Mais surtout, elle est lourde parce qu’elle repose souvent sur les femmes. Presque naturellement. On ne nous le dit pas explicitement, mais on l’intègre très tôt : prendre soin, anticiper, organiser, c’est notre rôle.

Or, cette responsabilité ne se voit pas. Il est bien plus simple de noter tout ce qui n’a pas été fait que tout ce qui a déjà été effectué. C’est là que naît la fatigue et même parfois la colère. Mais c’est souvent la culpabilité qui nous rattrape.

4. Déposer une partie du fardeau : des outils concrets

J’ai appris, au fil du temps, que la charge mentale ne disparaît pas. Mais elle peut être partagée et allégée.

Un planning visuel mensuel

Plutôt qu’un agenda sur téléphone, j’ai choisi un calendrier affiché bien en évidence. Ce n’est pas seulement un outil pratique : c’est un repère visuel qui rappelle que l’organisation n’est pas la responsabilité d’une seule personne. En rendant le planning visible, chacun peut voir, anticiper et prendre sa part. Et puis, écrire noir sur blanc tout ce qu’il y a à gérer a un autre avantage : cela libère l’esprit. On sort les tâches du mental, on décharge ce fameux « disque dur » intérieur, et on se laisse de la place pour penser à soi.

Déléguer et demander de l’aide

Le partage des tâches est souvent un sujet délicat. On ne peut pas déléguer une tâche si on est la seule à y avoir pensé. Intérieurement, on se demande : “Pourquoi c’est toujours à moi de voir les choses ? Le frigo est vide, la liste des courses à faire… C’est évident, non ?” Cette petite flamme de colère est légitime. C’est épuisant de devoir tout anticiper.

Ne demandez pas juste “aide-moi”, mais plutôt “Tu peux t’occuper des courses cette semaine, et je m’occupe des rendez-vous des enfants ?”. Ou mieux encore, si le partage est déjà naturel, le “tu veux que je fasse” remplace le “tu veux que je t’aide”. C’est une nuance subtile, mais puissante : le premier implique un vrai partage des responsabilités, le second une simple assistance.

Acceptez que les choses ne soient pas faites exactement comme vous le feriez vous-même. Renoncer à la perfection libère beaucoup d’énergie. Je ne parle pas ici de lâcher prise sur des valeurs essentielles, mais sur des détails qui n’ont finalement pas tant d’importance.

Privilégier la qualité, pas la quantité

On a souvent tendance, par culpabilité, à vouloir rattraper le temps perdu avec son enfant le soir. On décale alors l’heure du coucher, souhaitant prolonger un moment précieux. Mais en réalité, l’enfant, déjà fatigué, devient vite irritable. Il vaut mieux privilégier quinze minutes de qualité, par exemple en lisant une histoire dans le calme, plutôt que de vouloir allonger le temps au risque de créer du stress pour tout le monde. Ce que l’enfant retient en grandissant, ce ne sont pas la durée ou la quantité, mais ces instants de complicité et de sécurité. En lui montrant que vous avez confiance en la personne qui le garde – que ce soit l’autre parent, un grand-parent ou sa nounou – vous contribuez à renforcer ce climat de sécurité affective dont il a besoin pour bien grandir.

S’appuyer sur un réseau

Demander de l’aide et accepter le soutien des autres, c’est un vrai travail sur soi. La société nous a formatées pour croire que la femme doit tout gérer seule. Mais c’est une illusion dangereuse. J’ai appris que le simple fait de dire à une amie « Je suis épuisée aujourd’hui » peut libérer un poids immense. Construire un réseau de soutien, c’est essentiel pour ne pas rester seule avec sa charge mentale. Ce réseau vous permet aussi de prendre du temps pour vous et, si vous le souhaitez, pour votre couple. Accepter que votre enfant passe une après-midi ou une nuit chez une personne de confiance est un cadeau que vous vous faites à vous-même, à votre couple, mais aussi à l’enfant. Il fait de nouvelles expériences hors du cocon familial, ce qui est très bénéfique pour son autonomie.

Impliquer les enfants (quand c’est possible)

Quand les enfants grandissent, il est important de les impliquer, non pas seulement pour déléguer, mais pour leur transmettre quelque chose de fondamental : la vie de famille, ça se construit ensemble. Leur expliquer pourquoi on leur demande de mettre la table ou d’aider à ranger, c’est aussi leur apprendre la valeur du partage et de la solidarité. C’est une éducation à part entière, qui permet de rompre le cycle et d’éviter que les enfants d’aujourd’hui ne reproduisent ce schéma plus tard.

Être soi-même, pas « parfaite »

On parle souvent de la “mère suffisamment bonne”. Personnellement, je préfère parler de mère qui reste elle-même. La perfection n’existe pas, mais l’authenticité, si. Et c’est cela que nos enfants retiendront : une mère humaine, qui parfois fatigue, parfois délègue, parfois dit stop.

Fais à ta manière, pas à la leur

C’est épuisant de chercher la bonne méthode, celle qu’on voit partout sur les réseaux sociaux. Vous avez l’impression d’avoir tout essayé et que ça ne marche pas ? Dites-vous que c’est normal. Les conseils en ligne sont inspirants, oui, mais ils ne connaissent ni votre quotidien, ni votre enfant, ni votre histoire. Votre enfant est unique. Vous aussi, vous êtes unique. Laissez de côté ce qui ne vous parle pas, et faites à votre manière, avec votre intuition et vos propres valeurs.

En conclusion voilà ce que j’aimerais dire à toutes les femmes qui me lisent : vous n’avez pas besoin d’être parfaites. Juste présentes, humaines, en lien. La charge mentale n’est pas une fatalité, c’est un défi à partager. Et c’est en parlant de nos expériences, en les rendant visibles, que nous faisons déjà un premier pas vers plus de légèreté .

 

Pascaline Thilloy est psychopraticienne, spécialisée dans les relations parents-enfants.
Elle accompagne les enfants, les adolescents, les parents et les adultes dans leurs défis émotionnels du quotidien : anxiété, conflits familiaux, épuisement parental, hypersensibilité, difficultés scolaires ou troubles du neurodéveloppement.
Dans son cabinet Espace Émotion et Bien-Être, ou en visio, elle propose un accompagnement à l’écoute, ancré dans la bienveillance, pour aider chacun à retrouver confiance, apaisement et clarté.
Retrouvez-la sur son site www.espaceemotionetbienetre.fr et sur Instagram