Comment réduire les écrans et redonner aux enfants le goût du jeu réel

Le temps d’écran est devenu la grande loterie de la parentalité, nous avons conscience des bénéfices (recherche, communication), mais nous voyons aussi les dégâts en direct. Entre les smartphones, les tablettes et les consoles, nos enfants passent de plus en plus de temps les yeux rivés sur un monde numérique. Face à ces concurrents de taille, comment remettre du jeu réel dans la vie de nos enfants ? Comment nourrir leur imaginaire ? Pistes de réflexions et outils pratiques par Pascaline Thilloy, psychopraticienne, spécialisée dans les relations parents-enfants.

Si la technologie n’est pas l’ennemi en soi, soyons lucides, l’excès a des répercussions directes sur l’essence même de l’enfance. Je parle ici du jeu libre, de l’ennui fertile et de l’imaginaire. En tant que psychopraticienne, je constate que ce n’est pas tant le temps d’écran qui pose problème, mais surtout ce qu’il vient remplacer, toutes ces activités qui construisent leur équilibre émotionnel et leur capacité à gérer la frustration. La grande question est donc : comment remettre du jeu réel dans la vie de nos enfants ?

En cabinet, je vois souvent arriver de jeunes enfants qui ont un temps d’écran colossal. Attention, il n’y a aucun jugement de ma part : je comprends tout à fait qu’à un moment donné, les parents fatigués et dépassés finissent par céder. Une solution qui devait être passagère devient alors la règle. L’enfant refuse de manger ou de se calmer sans son écran, les crises s’installent… et les parents, épuisés et souvent par peur de ne plus être aimés, cèdent. C’est comme ça que l’on se retrouve dans la spirale infernale. L’enfant ne veut plus jouer, ne veut plus rien faire, et l’écran est maintenu pour éviter le conflit.

Le voleur silencieux : ce que les écrans prennent à nos enfants

L’impact de l’abus d’écran va bien au-delà des yeux fatigués ou des problèmes de sommeil. Il affecte directement les outils fondamentaux de la régulation émotionnelle.

1. La confiscation du jeu libre et de l’ennui

L’écran est un flux continu de dopamine, il est conçu pour être facile, rapide et immédiatement gratifiant. Le cerveau de l’enfant n’a plus à faire l’effort de créer un scénario, d’inventer des règles, ou de transformer une simple boîte en carton en vaisseau spatial.
C’est simple, le temps de la réflexion est volé. L’ennui est crucial pour que l’enfant ait le temps de réfléchir et de traiter ce qu’il a vécu. C’est le moment où, par manque d’autre chose, l’imagination s’active et le jeu commence. Qui n’a jamais fait des cabanes avec des couvertures pendant des heures ? C’est ce temps-là qui est menacé.

2. Une consommation qui rompt le lien familial

Nous avons tous de merveilleux souvenirs de la télévision de notre enfance. Le dessin animé avec une morale ou la télévision regardée à heure fixe offrait souvent un contenu avec une fin, qui donnait une leçon d’empathie et nourrissait l’imaginaire. Je me souviens de ces moments à 19h30, c’était l’unique soirée de la semaine où l’on avait droit aux dessins animés. C’était surtout un moment familial, nous étions tous assis sur le canapé, et j’entends encore mon père rire devant Bip Bip. Ces moments étaient des rituels précieux, car ils créaient de l’échange.

Aujourd’hui ? La consommation est majoritairement individuelle, souvent au casque. Les plateformes sont pensées pour maintenir l’attention le plus longtemps possible, tout est disponible, n’importe quand. Il n’y a plus de frustration d’attendre l’épisode de la semaine prochaine, ni de partage familial. Ce flux infini et sans fin narrative fatigue le cerveau et le détourne du jeu libre, entraînant ce manque criant d’échange et de cohésion familiale.

3. La fatigue et la tension familiale

L’abus d’écran crée inévitablement des tensions au sein de la famille. L’impact sur le sommeil et la stimulation intense entraînent de l’irritabilité et de l’anxiété chez l’enfant. On ne peut pas demander à un enfant fatigué d’être émotionnellement stable.

Remettre les limites au service de l’imaginaire : clefs pour les parents

Il ne s’agit pas d’interdire, mais de repositionner la technologie. En tant que parents, nous sommes les régulateurs, non les censeurs.

1. Le pouvoir des objets et des jeux partagés

L’enfant a besoin de (re)découvrir le plaisir du jeu simple.
C’est le moment de ressortir les Lego, les jeux de société, la pâte à modeler ou le dessin. Ces activités simples peuvent occuper les enfants pendant longtemps. Dans mon cabinet, par exemple, nous parlons en jouant avec le sable magique ou en lisant. N’hésitez pas d’ailleurs à aller en librairie acheter un livre ensemble, ou bien à faire une sélection à la bibliothèque du coin pour le valoriser.

2. Échanger le Temps de conflit contre le Temps de présence

J’ai pu remarquer que lorsque le temps d’écran est régulé, il y a une bien meilleure entente et complicité familiale.
Souvent, les parents ressentent de la honte ou de l’échec. Au contraire ! Je suis là pour comprendre. Pensez-y : si vous vous battez avec votre enfant 20 minutes tous les soirs pour éteindre la tablette, ces 20 minutes pourraient être utilisées pour du temps de jeu ou de présence. Même si vous rentrez tard et que vous avez mille choses à faire, il est essentiel d’être là, dans l’instant présent. Le simple fait de l’entendre dire : “Regarde, Maman/Papa, ma construction !” et que vous soyez attentif est une source immense de joie et de sécurité pour lui.
N’oubliez jamais que le cadre est une preuve d’amour et de sécurité. Plutôt que de céder à la crise pour éviter le conflit, soyez fermes sur les limites tout en restant empathiques face à leur frustration.

3. La création de nouveaux rituels

Le jeu libre et l’imaginaire ne surgissent pas par magie ; ils ont besoin d’être nourris par des habitudes qui remplacent naturellement le réflexe de l’écran.
Pour remplacer l’écran, créez des rituels de transition ou d’attente qui impliquent un support concret. En voiture, nos parents avaient un sens aigu de l’ennui constructif ! On nous demandait de regarder les numéros de plaques minéralogiques pour deviner d’où venaient les vacanciers, ou simplement de jouer à “Devine à quoi je pense”.
Pour le quotidien, fixez un “temps d’ennui obligatoire” après l’école (par exemple, 30 minutes sans activité prévue et sans écrans). Laissez-le râler, mais restez ferme ; c’est souvent après 15 minutes que l’imaginaire se remet en route. Plus l’enfant dispose d’alternatives concrètes, moins il aura besoin de l’écran pour se divertir.

4. Modéliser : le défi du “Fais ce que je dis, pas ce que je fais”

Le premier écran que voit votre enfant est le vôtre. Il est très difficile d’expliquer à un enfant que son temps de jeu numérique est limité, si vous-même consultez constamment vos notifications pendant les moments d’échange ou les repas. L’enfant ne retient pas les mots, il retient l’exemple.
Lorsque vous êtes avec votre enfant, faites le choix conscient de l’écouter et de le regarder sans distraction. Montrez-lui, même si ce n’est que pour quelques minutes, que sa présence et son jeu ont plus de valeur que votre téléphone.
Fixez des “heures et zones sans technologie” pour toute la famille. Ces règles doivent s’appliquer aux adultes. Désignez des moments sanctuaires (les dîners, les histoires du soir) et des espaces sanctuaires (les chambres, la salle à manger) où les téléphones sont mis de côté.

Réaffirmer la priorité du jeu réel : cultiver l’imaginaire

L’écran est une formidable fenêtre sur le monde, mais il ne doit jamais devenir une porte blindée sur l’imaginaire et le jeu réel de nos enfants. Pour les plus petits, les enjeux sur le développement cognitif et émotionnel sont trop importants pour être ignorés.
En tant que parents, arrêtons de nous épuiser à être des “policiers du temps d’écran” seulement par crainte. Notre rôle est plus fondamental : être des facilitateurs de jeu et de créativité qui protègent ce temps essentiel. En imposant un cadre clair, nous offrons à nos enfants le cadeau le plus précieux : l’opportunité de reprendre possession de leur imaginaire et de développer les outils émotionnels essentiels pour leur vie adulte.
Faites confiance à votre instinct, soyez présents, et soyez fermes sur les limites. La charge éducative est déjà lourde, mais c’est en assurant ce cadre que nous cultivons leur bien-être, sans la charge supplémentaire de la culpabilité.

 

Pascaline Thilloy est psychopraticienne, spécialisée dans les relations parents-enfants.
Elle accompagne les enfants, les adolescents, les parents et les adultes dans leurs défis émotionnels du quotidien : anxiété, conflits familiaux, épuisement parental, hypersensibilité, difficultés scolaires ou troubles du neurodéveloppement.
Dans son cabinet Espace Émotion et Bien-Être, ou en visio, elle propose un accompagnement à l’écoute, ancré dans la bienveillance, pour aider chacun à retrouver confiance, apaisement et clarté.
Retrouvez-la sur son site www.espaceemotionetbienetre.fr et sur Instagram