La révolte des mères : le guide de survie post-rupture en BD qui donne de la force

Elles s’appellent Francesca Fattori et Marguerite Dégi. L’une est journaliste cartographe, l’autre scénariste. Amies par hasard, unies par un cataclysme commun – le départ brutal des pères de leurs enfants – elles ont coécrit la BD La révolte des mères, éditions de l’Iconoclaste. Un ouvrage à la croisée des genres — guide de survie post-rupture, manifeste féministe et récit d’émancipation. Un texte lucide et salutaire sur ce que devient la vie des femmes, une fois le conte de fées terminé.

Pouvez-vous vous présenter chacune brièvement et nous raconter comment vous en êtes venues à coécrire ce livre ?

Francesca est journaliste cartographe au Monde, Marguerite scénariste. Nous nous sommes rencontrées lorsque nos fils étaient à la crèche (le grand pour Francesca, mon fils unique pour moi). Nous nous entendions bien mais nous serions certainement perdues de vues si les pères de nos fils ne nous avaient pas quittées du jour au lendemain à peu de temps d’intervalle.
Face à ces cataclysmes intimes, nous avons très vite reçu plein de conseils de femmes qui s’étaient retrouvées dans les mêmes situations que nous, avant nous, et nous sommes vite retrouvées à nous-mêmes pourvoir des conseils à des femmes qui se séparaient des pères de leurs enfants, après nous.
Avant de se séparer, on n’a aucune idée des choses qu’il faut savoir, auxquelles penser, quels sont nos droits, c’est une terra incognita absolue, alors qu’on doit prendre des décisions décisives pour ses enfants et pour soi rapidement (logement, mode de garde, etc.), au moment où on est le moins à même d’en prendre, tant on peut être émotionnellement à terre.
Ce livre, c’est celui qu’on aurait aimé avoir dans notre bibliothèque au moment de nos séparations.

La révolte des mères est un livre qui donne de la force. Est-ce que c’est ainsi que vous l’avez imaginé, comme un guide, un soutien pour les femmes qui traverseront les mêmes épreuves que vous ?

Absolument, et on avait aussi envie que ce soit joyeux, qu’il y ait beaucoup d’humour. Car la situation de séparation est très douloureuse : si on peut apporter des réponses aux mille questions que se posent les femmes qui traversent ça, leur donner des tips et des ressources qui peuvent les aider, leur faire gagner du temps, leur donner le sourire ou au moins l’espoir qu’elles vont s’en sortir, alors notre pari est réussi.

Le sous-titre évoque la chute du “conte de fées” : pouvez-vous nous dire de quel “conte” il s’agit ? Quelle est la réalité que vous avez découverte une fois le conte de fée effondré ?

Le conte de fées dont on parle, c’est celui qu’on nous vend, en tant que femmes, depuis qu’on est enfants, celui du prince charmant, de l’amour romantique comme but ultime d’une vie réussie : le destin de toute femme hétéro selon la société, c’est de trouver un homme, d’avoir des enfants avec lui, de vivre l’amour romantique. Le conte s’arrête toujours là : “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Le problème, c’est ce qu’il se passe après. Les statistiques montrent que la mise en couple, et encore plus l’arrivée des enfants, sont souvent le moment où les inégalités hommes/femmes se creusent, où chacun prend un rôle qui a des conséquences sur la suite, tant en termes financiers qu’en termes d’organisation familiale : à l’homme d’aller travailler pour pourvoir aux besoins de sa famille, à la femme de s’occuper des tâches parentales et domestiques. Dans la BD on explore ces inégalités, qui deviennent d’autant plus criantes au moment de la séparation, pour parler non seulement aux femmes qui vivent une séparation, mais aussi à toutes les autres, en couple ou non, avec enfants ou non, voire aux hommes, pour aider à prendre conscience de ces inégalités, et lancer une révolte collective, ou du moins un débat salutaire, pour essayer de changer les choses.

Vous ne cachez rien de la colère, de la douleur, des doutes, des angoisses qui vous traversent pendant cette épreuve de la séparation. Mais il y a aussi beaucoup de joie et de légèreté passée la phase du deuil : vous expliquez ce que ces difficultés vous ont apporté, en vous rendant finalement plus fortes. Comment décririez-vous ce parcours ? Une renaissance ?

 

Une renaissance, incontestablement et une émancipation d’un modèle qu’on n’avait finalement jamais remis en cause alors qu’il est de manière systémique défavorable aux femmes. Ça peut faire peur, c’est parfois très dur, tout est à réinventer, il y a des deuils à faire, celui de la relation mais aussi celui de la famille qu’on a éventuellement fantasmée depuis qu’on est enfants. C’est aussi l’occasion de se remettre au centre de sa vie, de redéfinir ce qu’on est prêt à accepter ou pas, de mieux se connaître. Une séparation, c’est aussi un moment de très grande introspection. Il y a vraiment moyen de se connaître bien mieux une fois tous les tumultes passés – car oui, ça passe !

Vous mettez l’accent sur la notion de choix : on peut ruminer la rupture, nourrir la colère et la frustration, ou bien choisir de profiter de ce « chaos absolu » pour se remettre au centre de sa vie. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Quand on dit choix, ce n’est pas pour dire “quand on veut on peut”, car on sait que c’est plus compliqué que cela. C’est une façon de se positionner soi : la colère, la frustration sont des émotions normales et nécessaires à un moment donné. Simplement, elles finissent par être contre-productives si on les laisse s’installer. Et ne nuisent qu’à celles qui les ressentent. Votre colère n’empêche pas votre ex de vivre sa vie. Par contre vous de vivre la vôtre, beaucoup plus. Ça peut être intéressant de poser ça à un moment, quand on se sent stagner.

Vous décrivez parfaitement la solidarité féminine qui se tisse pendant cette période, et soulignez l’importance d’oser solliciter nos personnes ressources. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce réseau de femmes qui se met en branle face aux difficultés ?

Il est incroyable et bouleversant. Déjà, dans nos deux cas, on s’est rendu compte que ce qu’on vivait — être quittées du jour au lendemain par les pères de nos fils — arrivait beaucoup plus souvent que ce qu’on aurait pu imaginer. Les langues autour de nous se sont déliées, beaucoup de femmes de tous milieux et de toutes générations se sont racontées (celles plus âgées ont été énormément stigmatisées, elles étaient les divorcées auxquelles il ne fallait pas parler, qui risquaient de piquer le mari des autres), nous ont donné des conseils et ont partagé leurs expériences. Ce qui a été à la fois réconfortant et d’une grande aide. Il y a aussi tout le réseau des travailleuses sociales (il y a quelques hommes, mais on ne va pas se mentir, ce sont en majorité des femmes) que j’ai pu pour ma part côtoyer, m’étant retrouvée dans une très grande précarité après ma séparation. Je pense notamment à une assistante sociale de la CAF qui m’a portée à bout de bras à un moment où j’étais à terre et m’a aidée à dégoter toutes les aides auxquelles j’avais le droit.

Au fil de votre parcours, vous comprenez à quel point votre histoire personnelle fait écho à un fonctionnement beaucoup plus systémique, lié au déséquilibre des charges familiales et domestiques, aux inégalités entre hommes et femmes au travail, aux injonctions et perceptions sociétales. Vous le dites « tant que ce sera comme ça, se faire salement lourder par le père de tes enfants restera une situation d’une affligeante banalité ». C’est ça, la vraie cause de la révolte ?

Notre révolte tient surtout au fait que ce sont les femmes qui trinquent à chaque fois : au sein du couple hétéro, elles s’appauvrissent (elles mettent leurs carrières de côté pour s’occuper des enfants, donc cotisent moins pour le chômage ou la retraite) et lorsqu’elles se séparent, toutes les inégalités qui se sont installées lorsqu’elles étaient en couple leur sautent à la figure : ce sont elles qui s’occupent à 80% des enfants (la garde alternée est un phénomène anecdotique), 20% tombent dans la pauvreté, elles ne peuvent pas se maintenir dans le logement familial (c’est le père qui majoritairement a la capacité financière de s’y maintenir), se retrouvent à quémander une CEE (Contribution à l’Entretien et à l’Éducation des Enfants) que les pères rechignent à leur verser (pour rappel 1/3 des pensions ne sont pas versées en France aujourd’hui et leur montant moyen de 190€ est très loin du coût estimé d’un enfant par mois, à savoir 750€.
Notre révolte, elle est là. Dans ces inégalités qui persistent au sein du couple, dans le manque de volonté politique d’y remédier (à quand la même durée de « congé » paternité que maternité ?). Une séparation, ça ne s’évite pas forcément ; en revanche, il y a de réels leviers pour éradiquer les inégalités de genre. Actionnons-les !

Côté pratique, on peut lire ce livre comme un véritable guide de la rupture. On oublie souvent qu’une séparation, surtout quand c’est l’autre qui part, c’est un tsunami émotionnel mais aussi une charge mentale énorme face à tous les aspects pratiques et administratifs à mettre en place. Quels conseils retenir pour celles qui sont dans cette situation ?

Le premier, c’est de connaître ses droits et ceux de ses enfants. Les décisions à prendre sont lourdes de conséquences. Avant de le faire, c’est vraiment judicieux de prendre conseil auprès de professionnel-les du droit (maisons du droit qui sont gratuites, avocat-es : pour celles qui ont des moyens limités, une aide juridictionnelle est possible, en fonction des revenus pour payer en partie ou intégralement ses honoraires). Il faut aussi réussir à prendre un peu soin de soi, à se chouchouter, ça ne tient parfois pas à grand-chose, mais juste déjà réussir à se dire que non, on est pas nulle, c’est déjà un grand pas.

La révolte des mères. Quand le conte de fées vole en éclat de Marguerite Degi et Francesca Fattori (scénario) et Audrey Lagadec (dessin). Éditions L’Iconoclaste, 233 pages, 24,50€.

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