Vivre et surmonter un deuil périnatal

Peut-on se remettre de la mort d’un enfant ? Comment accepter le décès d’un bébé que l’on a porté mais dont on n’a pas pu entendre le premier cri ? Le traumatisme semble insurmontable, et pourtant, 7000 familles tentent chaque année en France de se remettre d’un deuil périnatal. Cette expression recouvre plusieurs réalités : l’interruption médicale de grossesse (ou IMG), la mort in utero, la fausse couche spontanée ou le décès au moment de l’accouchement. Capucine Foulon est psychologue clinicienne, elle accompagne notamment les jeunes et les futurs parents au cours de ces évènements douloureux et sur le chemin du deuil. Elle nous explique comment on peut réussir à vivre après un tel traumatisme, voire à le surmonter.

Vous avez longtemps exercé au sein de plusieurs maternités en tant que psychologue, prenant en charge des parents confrontés à un deuil périnatal. Existe-t-il une définition médicale du deuil périnatal ?

Il y a plusieurs définitions du deuil périnatal selon les autorités de santé. D’après une définition cadrée, cela concerne le décès du fœtus entre la 15e semaine d’aménorrhée et le premier mois de vie. Mais le deuil périnatal recouvre un très large spectre de situations, dans lequel j’inclus les fausses couches spontanées et à répétition par exemple. Ce sont autant de situations qui laissent des traces dans le psychisme des parents.

Dans le cas de la fausse couche, on a constaté au fil des années que cette situation était très difficile à vivre pour les femmes : cet événement est banalisé par l’entourage et la société, pourtant il place certaines en grande souffrance, une souffrance dont elles parlent peu, qu’elles n’osent souvent pas évoquer avant la grossesse suivante.

Comment décrire le traumatisme du deuil périnatal ?

Le terme qui revient est celui de « choc ». Un choc qui engendre un état de stupeur et de sidération, qui vient figer la pensée. Au moment de l’annonce, les couples ne comprennent et n’entendent plus rien malgré les explications du corps médical. La durée de cet état est très variable car il dépend de la temporalité psychique de chacun. Par la suite, ces couples devront relancer la « machine à penser » qui s’est arrêtée au moment de l’annonce. C’est un travail d’élaboration qui va leur permettre de pouvoir s’approprier ce qui est en train de se passer, en parler, réfléchir et entrer dans un processus, différent selon les situations.

Un deuil se vit dans le temps et implique plusieurs phases : quelles sont les différentes étapes que l’on traverse dans le cas d’un deuil périnatal ?

Le premier temps est celui de l’annonce, souvent lors d’une échographie. Le deuxième temps est un temps fondamental, qui paraît insupportable aux parents : c’est un temps pour se réapproprier l’évènement, accompagner ce bébé et préparer un accouchement le plus apaisé possible. Car dans plus de la majorité des cas, le deuil périnatal donne lieu à un accouchement par voie basse.

Viennent ensuite le temps du post accouchement et celui de la reprise du travail : ce sont des périodes très compliquées car les femmes sont souvent seules, leur mari repart travailler, elles restent chez elles avec leur tristesse. L’accompagnement d’un psychologue est souvent nécessaire et demandé à ce moment-là. Puis au moment de la reprise du travail, elles sont confrontées au regard des autres avec des réactions très différentes selon l’entourage. 

Un certain nombre de formalités et de questions s’imposent lors de ce type d’événement : donner un prénom à l’enfant, le déclarer, lui donner une sépulture, l’inscrire dans le livret de famille… Quels choix s’offrent aux parents et est-il dans votre rôle de les conseiller dans ces moments douloureux ?

Selon la loi, si le décès intervient après 15 semaines d’aménorrhée, on peut inscrire l’enfant sur le livret de famille, prendre en charge les obsèques ou laisser l’hôpital s’en charger, donner un prénom à l’enfant, le déclarer et lui donner une sépulture. Le rôle des psychologues et plus largement de l’équipe médicale n’est pas de les conseiller sur cela, mais de les amener à une autonomie décisionnelle.

Dans ces moments, le temps est précieux et il est leur meilleur allié, ce temps est un temps d’élaboration autour de la séparation physique et psychique avec le bébé. La décision est très personnelle et singulière puisqu’elle dépend de l’histoire familiale et des représentations de chacun.

Pour le livret de famille et le prénom, les parents ont du temps, il n’y a pas de délais, il arrive souvent que des parents décident d’inscrire leur enfant plus tard sur le livret de famille.

Dans la plupart des cas de mort in utero ou d’interruption médicale de grossesse, l’accouchement par voie basse s’impose à la mère. Est-ce que cet accouchement peut contribuer à surmonter le traumatisme ou au contraire l’accentuer ?

En effet, c’est un sujet difficile et les femmes sont assez horrifiées lorsqu’on leur explique qu’elles vont accoucher par voie basse. Mais cette étape est fondamentale, car l’accouchement fait partie du processus de maternité. Elles ont porté le bébé dans leur corps et dans leur tête, en accouchant elles deviennent mères malgré tout. Cela favorise la reconstruction de soi et de son intégrité corporelle ; par la suite, elles pourront dire qu’elles ont accompagné leur bébé jusqu’au bout.

Comment prépare-t-on cet accouchement ?

Il faut un temps de préparation pour que la mère accouche le plus sereinement possible. Les parents sont alors accompagnés par les équipes médicales, c’est un travail pluridisciplinaire, qui ne repose pas seulement sur le ou la psychologue.

Beaucoup de parents expriment le souhait que cela se termine, « pour en finir vite ». On essaie alors, si cela est possible, de les encourager à ralentir ce temps, qui est précieux et nécessaire pour réinvestir ce bébé avant d’accoucher. Selon les situations, la perception du bébé sera différente et va changer avec l’annonce, il est important que les parents l’imaginent. On les encourage à refaire du lien, à se le représenter, même si cela peut sembler paradoxal puisqu’il va falloir s’en séparer. C’est un temps très difficile à accepter. Mais dans l’après-coup, c’est un temps sur lequel ils ne pourront revenir. Il peut alors y avoir des regrets qui s’ajoutent à la culpabilité ou à la honte. Ce temps permet aux femmes d’aller jusqu’au bout de leur rôle de mères. Les couples montrent beaucoup de ressources dans ces moments, pour réinvestir ce bébé, recréer un lien particulier avant la fin, c’est une façon de lui dire au revoir. Chaque parent peut l’exprimer à sa façon.

Dans un épisode de notre podcast, une maman ayant été contrainte d’accoucher de ses jumelles décédées à 5 mois de grossesse, nous a confié ne pas avoir voulu voir ses bébés. Un choix qu’elle a presque regretté ensuite. Que conseiller aux parents dans cette situation ?

Diverses études ont été faites sur le sujet dont les conclusions se contredisent. Il n’y a pas de règle et c’est à chaque couple de prendre sa décision.  Ce qui peut aider à gérer ce type de regret, de manque, c’est un travail de retour sur la grossesse : revenir sur les premières impressions, les images échographiques, les souvenirs qui se sont constitués au fil des mois… Raconter l’histoire de sa grossesse depuis la conception va permettre un travail de deuil inédit, qui sera source de créativité : peindre, planter un arbre, écrire, etc.

On peut aussi se rapprocher de la maternité : dans la majorité des établissements, les équipes prennent une photo des bébés qui sont gardées dans les dossiers, ces clichés sont destinés aux parents, ils leur appartiennent, mais ceux-ci ne le savent pas toujours.

Ce deuil est-il vécu différemment par l’un et l’autre parent ? 

Je milite beaucoup pour que l’on fasse une place au deuxième parent dans ce type d’épreuve. C’est en effet un vécu différent. Chez la femme la maternité s’appuie sur un vécu corporel. Chez l’homme le rôle de père se fonde sur l’imaginaire, la loi et la parole de sa femme qui le reconnaît comme père de l’enfant à venir.

Bien souvent, c’est au moment de l’accouchement que le conjoint se sent devenir père, lorsque le bébé devient « réel ». Dans le cas d’un deuil, l’homme a tendance à soutenir sa compagne, en n’osant pas parler du bébé. La mère interprète souvent cela comme un manque d’intérêt ou un effacement de l’évènement. Lorsque vient pour lui le temps du retour au travail, il apprécie le soutien de ses collègues, mais par la suite, au moment de la grossesse d’après par exemple, on observe chez certains une tristesse, une culpabilité, certains s’effondrent. Cela se produit plus tard, jamais en même temps que la femme. Il peut alors ressentir le besoin d’être à son tour accompagné individuellement.

Peut-on « guérir » de cette blessure ? Comment y parvenir ?

Oui, mais on ne « guérit » pas vraiment, on apprend à vivre avec : le deuil périnatal est une blessure narcissique, l’estime de soi est ébranlée, il faut la restaurer. Le chemin de reconstruction ne passe pas forcément par la conception d’un autre enfant d’ailleurs. Les femmes doivent se faire confiance, elles ont la capacité, la créativité pour se réapproprier l’évènement. Beaucoup d’artistes ont commencé à peindre suite à un deuil périnatal, je pense à Frida Kahlo par exemple : la sublimation par l’art permet de s’opposer à la perte pour retrouver l’objet aimé sous une autre forme. Mais je parle ici de créativité au sens large : le sport, le milieu associatif, une reconversion professionnelle peuvent permettre ce processus de sublimation et de réparation.

Pourquoi parler de « blessure narcissique » ?

Parce que cela vient toucher au plus profond de leur être : c’est le sentiment de ne pas avoir réussi à mettre au monde un bébé en bonne santé, c’est ce que ressentent aussi les femmes en situation d’infertilité, qui vivent un parcours de PMA compliqué. Cette blessure est d’autant plus profonde que le regard sociétal est culpabilisant actuellement ; il y a une idéalisation de la grossesse et de la maternité qui peut engendrer beaucoup de souffrance.

Au-delà d’un suivi avec un psychologue, quels sont les outils/remèdes qui peuvent aider un parent à surmonter ce deuil ?

La créativité comme je le disais, et aussi tout ce qui permet de sortir de l’isolement : groupes de parole, consultations en PMI, ateliers de parents…

Les mères se sentent isolées et très seules notamment lorsque leur mari reprend le travail après ce type de choc. Elles sont seules dans leur douleur et leur vécu, elles ont besoin de lire des témoignages, de parler de leur bébé. Quand elles ont d’autres enfants à charge cela peut être difficile de trouver le temps de rester en lien avec ce bébé perdu. D’autant plus que l’entourage, même avec la plus grande bienveillance, peut avoir des phrases maladroites du type « tu es jeune, tu en auras d’autres… » qui les renvoient à leur solitude.

Comment envisager un enfant après ce deuil ? Est-il possible d’envisager cet autre enfant sans lui faire porter le poids de cette perte ? Et sans craindre de revivre le même traumatisme…

La grossesse qui suit sera souvent cachée et va se dérouler dans le silence ; les parents ne se sentent pas capables de mettre au monde un enfant bien portant, l’angoisse et la culpabilité sont alors très présents. La mère a le sentiment de ne pas avoir le droit de vivre une belle grossesse. Elle a souvent l’impression de trahir l’enfant perdu, et de l’oublier. Cette question de l’oubli est centrale : un conflit de loyauté s’installe entre l’enfant à venir et l’enfant décédé.

Les femmes peuvent parler des deux bébés pendant leur grossesse pour donner une place au premier, sa juste place. On observe souvent que cette place est trouvée au moment de l’arrivée de cet enfant qui suit : parfois cela se traduit par son inscription dans le livret de famille.

Comment intégrer cet enfant porté à l’histoire familiale ? Comment en parler avec ses frères et sœurs ?

La place faite à l’enfant perdu est à élaborer par les parents en fonction de l’histoire familiale, de la représentation du bébé et de où ils en sont de leur parentalité. Avec les enfants, mieux vaut ne rien cacher, en parler tout de suite avec des mots simples. On peut les emmener aux obsèques, ce qui peut paraître aux adultes très violent ne l’est pas forcement pour eux. Ce qui est violent c’est de ne pas comprendre. À partir de deux ans leur place est là, auprès de leurs parents, et ils peuvent voir la sépulture de leur frère ou de leur sœur.

La représentation de la mort n’est pas la même pour les adultes et pour les enfants et varie évidemment selon les âges. Pour les petits, il existe surtout une inquiétude quant à la santé de leur maman. Il s’agit de les rassurer, leur dire qu’ils ne sont pas responsables de ce qui s’est passé. Même si c’est évident, il est préférable qu’ils l’entendent. Les enfants ont beaucoup de pensées, ils peuvent s’imaginer qu’ils ont fatigué leur maman, qu’ils n’ont pas été sages ou qu’ils n’avaient pas envie de ce petit frère…

De même, les parents n’ont pas à se cacher pour pleurer, s’ils ne pleuraient pas, ce serait compliqué à comprendre pour leur enfant. 

Quel est votre conseil pour les parents qui vivent ce deuil et ne parviennent pas à se reconstruire ?

Se faire accompagner, demander autour de soi pour trouver un praticien compétent. Je pense qu’il faut libérer la parole sur ce sujet, en parler pour aider les parents. Ces sujets sont encore tabous et cela isole encore plus les femmes, les hommes, les couples.

Crédit photo : Kristina Tripkovic.