Maternité tardive : faut-il avoir peur de faire un bébé après 40 ans ?

Parfois on s’y met plus tard que prévu, on a rencontré sa moitié après 35 ans, on a bossé sans compter les années, on n’a pas eu le déclic, ou on se décide à cet âge chargé de promesses qu’on ne va pas passer à côté de son rêve d’être mère ou d’agrandir une fratrie. En solo ou à deux, on décide qu’on veut un enfant, même si on a passé les 40 ans. Déboulent alors les questions, les doutes, la culpabilité ou la peur, l’avis des autres aussi… Quelles sont les vraies questions à se poser pour peser le pour et le contre ? Que faut-il savoir sur notre corps et notre fertilité à partir de 40 ans pour envisager de devenir ou redevenir mère ? Entretien avec Nathalie Massin, endocrinologue, et Anne-Lise Pernotte, thérapeute spécialiste en désir d’enfant et maternité tardive, qui publient le guide expert et bienveillant « Être mère si je veux, quand je veux » aux éditions First.

Après 35 ans, on parle déjà en gynécologie de « grossesse gériatrique »… Alors, envisager une grossesse après 40 ans, est-ce un projet que les femmes doivent encore défendre et assumer ?

Nathalie Massin : Bannissons ce terme qui date d’un autre âge ! Il n’a aucun sens médical ou sociétal et personnellement je ne l’ai pas entendu pendant ma formation de médecin ni dans ma pratique clinique. Utilisons simplement le terme de « grossesse à risque ». Défendre le droit d’une grossesse après 40 ans, bien sûr. Pour ma part je pense qu’il est nécessaire de défendre les droits des femmes pour qu’elles puissent justement assumer, quand elles le souhaitent, d’avoir un enfant AVANT 40 ans. Notre société aujourd’hui continue de pénaliser les femmes qui conçoivent, c’est surtout là qu’il faut agir. Cela donnera aussi plus de chances aux femmes d’atteindre la taille de la famille désirée, ce qui est moins souvent le cas quand le projet débute après 40 ans.

Anne-Lise Pernotte : ce terme de « grossesse gériatrique » est ridicule et déplacé. Rappelons que la gériatrie commence à 60 ans. Or aucune femme ne devient mère à cet âge-là ! Il n’y a aucune raison de culpabiliser de vivre une grossesse après 40 ans, qu’elle soit le fruit d’une rencontre tardive, d’un long parcours de PMA ou d’un désir de le faire en solo. Ce n’est pas parce que la norme est encore de faire des enfants entre 25 et 35 ans, qu’on n’a pas le droit de concevoir plus tard.

Que disent les chiffres sur ce sujet : est-ce que le nombre de maternités « tardives » a réellement décollé depuis 30 ans ? 

Anne-Lise Pernotte : Oui, les grossesses après 40 ans ont nettement augmenté ces dernières décennies. En France, elles représentaient environ 1 % des naissances au début des années 1990. Aujourd’hui, on est autour de 6 %. Mais les mamans quadras restent une minorité, même si cette minorité est de plus en plus visible.

Ce qui est intéressant, c’est que les grossesses après 40 ans existaient aussi dans les années 50, mais dans un tout autre contexte. À l’époque, avant la généralisation de la contraception, environ 10 % des naissances concernaient des femmes de plus de 40 ans. Mais ces grossesses survenaient souvent en fin de fratrie, après plusieurs enfants, parfois non désirées. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse : les grossesses après 40 ans sont souvent des premières naissances, très attendues, très désirées, très préparées.

Dans votre livre « Être mère si je veux, quand je veux », vous proposez de creuser et d’interroger son désir d’enfant pour réussir à concrétiser ou non un projet de grossesse. En quoi ça consiste ?

Anne-Lise :Oui, on invite clairement les femmes à sortir du pilotage automatique, à mettre sur pause les injonctions sociales, familiales ou médicales, et à se demander : « qu’est-ce que je veux, moi ? »Interroger son désir d’enfant, ce n’est pas juste répondre par oui ou non. C’est plonger dans ses ambivalences, ses peurs, ses élans profonds, pour faire le tri entre ce qui vient de soi et ce qui vient de l’extérieur. On évoque aussi le regret maternel ou le regret de ne pas avoir fait d’enfant quand c’était encore possible, à travers des témoignages. Et puis on propose un outil concret, sous forme de questions pour explorer ses schémas et conditionnements, ses motivations profondes, se projeter avec ou sans enfants…

L’idée, c’est de redonner du pouvoir et une capacité à faire des choix. Qu’on décide de faire un enfant, d’y renoncer, ou d’attendre encore un peu, l’essentiel c’est que ce soit un choix libre, aligné et assumé. Nous sommes aussi assez convaincues du fait que si on a bien validé son désir d’enfant en amont, il est plus facile de surfer sur les vagues (parfois houleuses !) de la parentalité, parce qu’on sait POURQUOI on est là.

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Existe-t-il de bonnes ou de mauvaises raisons de vouloir un enfant ? Est-ce que ce désir est rationnel ? 

Anne-Lise : Je pense qu’il n’existe pas de bonnes ou de mauvaises raisons de vouloir un enfant. Il existe des raisons qu’on n’a pas toujours pris le temps d’interroger. Le désir d’enfant peut être viscéral, émotionnel, parfois très rationnel… Et c’est ok. Il peut être nourri d’amour, de peurs, de désir de transmission, de besoin de réparation, d’envie de vivre une certaine expérience… Ce qui compte, c’est de mettre de la lumière sur ce qui nous pousse (ou nous repousse). Parce qu’un désir qu’on comprend mieux, c’est un désir qu’on peut choisir de suivre — ou pas — en conscience. 

La crainte vient de notre corps et des risques éventuels pour l’enfant à naître : y-a-t-il plus de risques avérés pour la santé d’une femme et de son bébé quand elle enfante après 40 ans ?

Nathalie Massin : la grossesse tardive (après 40 ans) est une grossesse plus à risque et le premier risque est celui d’arrêt de grossesse précoce (fausse couche). Une grossesse sur 3 s’arrêtera précocement à 40 ans et plus d’une grossesse sur 2 à 45 ans, alors que le risque est de 15% avant 35 ans. Le risque génétique, comme par exemple la Trisomie 21 augmente également avec l’âge. Pour la santé de la mère, il y a une augmentation significative du risque de pré éclampsie, de diabète gestationnel et de césarienne.

Que faut-il savoir justement sur notre corps et sur le suivi d’une grossesse qui arrive après 40 ans ?

Nathalie Massin : C’est important de noter que ces risques sont pris en compte pour un suivi plus rapproché des maternités tardives. Il est donc important de faire suivre sa grossesse au plus tôt et dans une maternité qui prend en compte le risque maternel et pas seulement celui de l’enfant (comme le classement actuel des maternités). 

Conseillez-vous avant un tel projet de faire un bilan de fertilité complet ? Pour la femme et le conjoint ?

Nathalie : si ce n’est avant, je recommande de faire un bilan dès le début des essais de conception pour s’assurer que tout est en place pour une conception naturelle et éviter de perdre un temps précieux en essais qui ne pourraient pas aboutir. Comme par exemple si les trompes sont obstruées, qu’il existe une endométriose sévère ou un trouble de l’ovulation, mais également un problème de sperme pour ces messieurs pour lesquels, rappelons-le, la qualité du sperme diminue avec l’âge. 

Quels conseils donnez-vous à vos patientes qui sont dans ce désir de grossesse et qui craignent que cela n’arrive pas ? Existe-t-il de vraies clefs pour stimuler la fertilité ? 

Nathalie Massin : s’il existe un problème médical, le médecin spécialisé en PMA pourra proposer des techniques de FIV dans certains cas et avant 43 ans. Cependant si l’exploration ne met pas en évidence de problème de fertilité, il n’existe pas à l’heure actuelle de « booster » de fertilité. Si les essais naturels ne fonctionnent pas une PMA peut être proposée si la réserve ovarienne le permet. Cela permettra d’optimiser le timing mais ne mettra pas à l’abri du risque d’essais infructueux ou encore de fausses couches, à moins d’avoir recours à l’analyse génétique des embryons en FIV (DPI-A = recherche d’aneuploidie*) ou du don d’ovocytes.

*Technique qui consiste à appareiller les chromosomes concernés avec des sondes à ADN spécifiques à des locus de chromosomes et marquées par un colorant fluorescent.On peut alors déceler selon le nombre de signaux lumineux les pertes ou gains de chromosomes.

Anne-Lise Pernotte : Quand l’enfant peine à arriver, ce n’est pas simple de vivre l’attente sereinement. En tant que thérapeute, je les invite à DE-CUL-PA-BI-LI-SER, à ne pas croire que c’est parce qu’elles ne pensent pas assez « positif » ou que leur arrière-grand-mère a vécu des interruptions de grossesse, qu’elles n’arrivent pas à tomber enceinte. En revanche, je les invite à bien clarifier leur désir d’enfant, à traverser leurs peurs, à prendre conscience des conditionnements de l’enfance, à mettre le doigt sur d’éventuelles croyances limitantes. Ce travail de thérapie permet de reprendre le pouvoir sur son « parcours » bébé et de retrouver progressivement confiance en soi et dans son corps. Je les incite aussi à prendre soin d’elle et à cultiver d’autres domaines de vie, deux clefs intéressantes pour vivre l’attente et tenir sur la longueur.

Portrait DR MASSIN et Anne LISE Pernotte copie

Et quand ça ne fonctionne pas, comment se résoudre à abandonner ce projet ? Comment accompagnez-vous les couples ou les femmes qui doivent faire ce deuil de la maternité ou du dernier enfant ?

Anne-Lise Pernotte : Faire le deuil d’un enfant qu’on n’aura pas, ce n’est pas juste renoncer à une grossesse et une maternité, c’est aussi renoncer à une version de soi, à un rôle social, à une projection de vie, à un lien fantasmé.

Quand j’accompagne une femme ou un couple dans ce moment-là, je ne cherche pas à leur faire tourner la page rapidement. Je leur propose d’honorer ce désir, même s’il n’aboutit pas, de mettre des mots sur ce qui est perdu, mais aussi sur ce qui est vivant et bien là dans leur vie. On travaille sur la transmission autrement, sur les formes que peut encore prendre une fécondité symbolique : créer, transmettre, nourrir le lien autrement. Et surtout, on restaure une image de soi confiante et entière, même sans maternité.

Pour une femme, ce deuil de la fertilité peut être une étape difficile, la peur de vieillir, d’être ménopausée : comment peut-on se préparer à cela et mieux le vivre ? 

Anne-Lise : Oui, pour beaucoup de femmes, la fin de la fertilité marque un tournant existentiel. Ce n’est pas seulement biologique, c’est aussi symbolique : c’est parfois vécu comme la fin d’une possibilité, une confrontation au vieillissement, à l’idée de ne plus être dans le « game ». Et ça peut faire peur, ou provoquer un grand vide. C’est important de dire que c’est normal de ressentir tout ça.

Se préparer à cette étape, c’est déjà s’informer sur ce qu’est la péri-ménopause et la ménopause, pour éviter de se laisser désagréablement surprendre par les symptômes divers et variés. C’est aussi s’autoriser à en parler sans honte (à son gynéco, médecin ou thérapeute ou au sein de groupes de paroles) et prendre soin de son corps pour en accepter plus facilement les changements.

Enfin, il ne faut pas trop noircir le tableau. Beaucoup de femmes redécouvrent une puissance nouvelle à ce moment-là : une forme de libération, voire d’émancipation pour certaines, une créativité nouvelle, un recentrage, etc. 

Être mère si je veux, quand je veux, de Nathalie Massin et Anne-Lise Pernotte, éditions First.

Crédit photo : Jeferson Santu- Unsplash